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Recherche action sur le lexique:
Expérience menée au collège Belle-de-Mai à Marseille.

Ces propositions, qui sont conçues en lien étroit avec l’étude de la langue, et dans le cadre des nouveaux programmes de Français pour la classe de 6ème, ont été élaborées par Laurence ARGENTIN, professeur de lettres classiques au collège Belle-de-Mai à Marseille (13).





1. Présentation de la classe

  • Le collège de la Belle de mai est un collège de centre-ville de Marseille classé depuis la rentrée 2006 « Ambition Réussite ». Les élèves sont majoritairement issus de familles d’origine étrangère et de milieu socioculturel défavorisé.
  • La classe qui a participé à cette expérience est une classe de sixième de 24 élèves. Il s’agit de la sixième bilangue du collège : les élèves commencent l’apprentissage de l’allemand et de l’anglais. Elle a été choisie pour cette recherche-action car il s’agissait de la seule classe de sixième dont l’effectif resterait le même en sixième et en cinquième, puisque cette expérimentation était prévue pour deux ans. (L’enseignement du français a lieu en groupes dans les autres sixièmes.)
  • Aux évaluations nationales de septembre, le taux de réussite était de 44,4 % alors que le score moyen des élèves du collège était de 35,6%. L’élève qui a obtenu le score le plus faible a obtenu 21,1% et le score le plus élevé est de 70,1. Six élèves obtiennent moins que le score moyen du collège.
  • Cette classe est hétérogène : il y a une bonne tête de classe mais aussi des élèves aux résultats plus préoccupants. En début d’année, cette classe laisse une très bonne impression à l’oral mais tout au long de l’année, les enseignants regretteront le manque de travail à la maison de l’ensemble des élèves. Cette tendance s’est manifestée également en français : ce sont des élèves vifs, curieux et actifs à l’oral mais qui ne travaillent pas chez eux.
2. La conduite des apprentissages systématiques

L’utilisation du dictionnaire

Lors de l’évaluation initiale de septembre, quelle ne fut pas ma surprise de constater que certains élèves mettaient énormément de temps à trouver un mot dans le dictionnaire. En effet, si le classement des mots par ordre alphabétique était connu de tous, la manipulation de cet usuel posait problème : certains élèves cherchaient la première lettre puis lisaient page après page pour trouver leur mot…Je décidai donc de faire de l’utilisation du dictionnaire une de mes priorités. Tous les enseignants de français ont un jour ou l’autre demandé à leurs élèves de chercher des mots dans le dictionnaire, leur enjoignant de ne pas hésiter à chercher tous les mots incompris… mais quel élève ira véritablement utiliser cet ouvrage si il doit mettre 5 minutes pour trouver chaque mot ?

Dès le premier trimestre, j’ai fait des séances sur l’utilisation du dictionnaire : une sur l’ordre alphabétique, une autre sur l’organisation de l’article de dictionnaire.
J’avais la chance d’avoir cours dans la même salle et j’ai pu conserver 24 exemplaires du Petit Robert Collège dans une armoire, à disposition des élèves.

Voici un exemple de document utilisé avec les élèves (construit à partir des manuels Grammaire 6°, Hatier – L’atelier du langage, Hatier et Fleurs d’encre, Hachette.) lors d’une séquence sur les sorcières.



Très rapidement, travailler sur des articles de dictionnaire m’a conduite à travailler avec les élèves sur la polysémie des mots. En effet, rapidement, la plupart sont parvenus à trouver le mot mais ils étaient démunis devant la multiplicité de sens qui s’offraient à eux. Pour parvenir à leur faire acquérir plus d’autonomie et d’efficacité, j’ai fait le pari de l’entraînement systématique et ludique : Le jeu du dictionnaire a ainsi été mis en place une fois par semaine : tous les mardis, la séance débutait par le même rituel : la distribution d’un dictionnaire à chacun puis un concours de vitesse avait lieu. Au début de l’année, il s’agissait seulement de trouver un mot dans le dictionnaire le plus vite possible mais ensuite, le jeu a été complexifié : après la recherche de mots écrits au tableau, les élèves ont dû chercher des mots entendus, pour attirer leur attention sur le fait qu’un même son pouvait être produit par des graphies différentes et qu’une recherche infructueuse pouvait être la conséquence d’une erreur orthographique. De plus, à la simple recherche d’un mot, s’est ajoutée une difficulté supplémentaire : les élèves devaient chercher le plus vite possible un mot mais aussi déterminer quel était le sens en contexte du mot écrit au tableau et employé dans une phrase.

Ce jeu a obtenu beaucoup de succès auprès des élèves qui me rappelaient que nous étions mardi lorsque j’oubliais de distribuer les dictionnaires. La notion de polysémie a été assimilée, tous ont compris que le sens des mots pouvait varier selon le contexte et la plupart en fin d’année parvenaient à déterminer le sens adéquat

Les notions structurantes

Outre l’utilisation du dictionnaire, travailler sur le lexique m’a conduite à faire plusieurs séances « structurantes » de manière approfondie. Il ne s’agissait pas de séances particulièrement novatrices mais de concepts à fixer et à réactiver sans cesse. Ces séances ont eu comme objectifs : la formation des mots, les familles de mots, les préfixes IN/DE/RE, certains suffixes comme IBLE / ABLE, la notion de synonymie, la polysémie, les sens propre et sens figuré, les adverbes de manière. Après ces séances, je n’ai cessé de réactiver sans cesse toutes ces notions, au hasard d’une séance de lecture, de grammaire ou d’écriture. En effet, la discussion surgissait parfois de manière inopinée au hasard d’un quiproquo avec les élèves : à plusieurs reprises, des élèves se sont retrouvés en situation d’incompréhension à cause de la polysémie de certains mots, m’amenant par là même à revenir sur les notions de sens propre et de sens figuré.

L’apprentissage du lexique

Pour accroître le bagage lexical des élèves, je leur ai demandé d’apprendre des listes de mots à partir des textes vus en lecture. J’ai établi ces listes en utilisant fréquemment le Dictionnaire du français usuel de Jacqueline Picoche. Je ne donnais que des listes de mots en réseaux et une de ces fiches lexique a même été élaborée avec les élèves. Il pouvait s’agir de listes de mots regroupés par thématique (par exemple, le lexique des sentiments) ou bien le lexique « autour de tel ou tel mot ». Le plus souvent, les mots étaient à mémoriser dans une phrase. Ce vocabulaire était à retenir, sur le modèle du vocabulaire que l’on retient lors de l’apprentissage d’une langue vivante. (Ce vocabulaire s’ajoutait au vocabulaire habituellement enseigné en classe de sixième : le lexique du merveilleux, les défauts et les qualités d’un héros dans le conte, les verbes de parole…).

Hormis une réutilisation dans des travaux écrits, les élèves étaient interrogés deux fois par semaine individuellement, à tour de rôle lors du jeu de la boîte à mots. En effet, suivant l’exemple de mon collègue Nicolas Saint-Girons (recherche-action sur l’enseignement de l’orthographe en classe de sixième), j’avais fabriqué une véritable boîte baptisée « la boîte à mots ». Dès qu’une nouvelle fiche lexique avait été faite, les nouveaux termes étaient placés dans la boîte sous forme de petits papiers. Deux jours par semaine, la séance débutait par le passage de 2 ou 3 élèves au tableau : l’élève interrogé devait tirer au hasard des papiers dans la boîte. Il devait savoir orthographier le mot et le réutiliser dans une phrase de son invention. Le cas échéant, je pouvais aussi lui demander de m’expliquer son sens. Aux élèves de lever la main pour intervenir et l’aider ou le corriger en cas d’erreurs.

Cet exercice, qui a contribué à la mémorisation des mots, m’a permis de prendre conscience que très souvent, les élèves pensaient connaître le sens d’un mot mais étaient incapables de le réutiliser correctement…Il s’agissait de réemploi oral mais il permettait d’apprendre à utiliser correctement le mot et « faire de la grammaire sans faire de la grammaire » : par exemple, l’élève qui tirait « se réjouir que » devait faire une phrase avec un subjonctif dans la subordonnée sans que ce soit précisé et sans que la leçon ait été vue préalablement. L’accent était porté sur le réemploi oral et non sur la théorie grammaticale.

Une vingtaine de fiches lexique ont été vues dans l’année



3. Lexique / Ecriture

Les élèves ont souvent été mis en activité d’écriture. Dans ce domaine–là encore, l’accent a été mis sur la variété et la richesse lexicale. Je leur ai demandé à plusieurs reprises d’écrire à partir de mots : par exemple, de rédiger un texte narratif en utilisant le plus de mots possible de la fiche « autour du mot manger ». Lors des travaux d’écriture longs, les traditionnelles rédactions, j’indiquais toujours 5 ou 6 mots de la boîte à mots qui devaient obligatoirement être réutilisés, un bonus de points étant accordé pour une réutilisation encore plus importante des mots appris.

Progressivement, certains élèves ont pu ainsi étoffer et enrichir leurs productions écrites mais les progrès n’étaient pas identiques chez tous les élèves : certains voulaient bien faire mais utilisaient des termes de manière impropre, montrant dans leurs écrits que le sens de tel ou tel mot n’était pas encore bien assimilé. Sans doute l’enrichissement lexical ne sera-t-il vraiment important qu’à plus long terme…




4. Lexique et lecture

Dès le début de notre travail, un de nos objectifs était de ne faire aucune lecture de textes sans travail lexical, sans approfondissement. Une de nos missions était d’apprendre aux élèves à s’arrêter sur le sens d’un mot : Pourquoi l’auteur a-t-il utilisé ce mot et pas un autre ? Montrer que la précision des termes est porteuse de sens.

Ainsi lors de l’étude d’un extrait de l’Odyssée, l’épisode du cyclope Polyphème, nous nous sommes arrêtés sur l’emploi de termes précis appartenant au champ lexical du toucher, important puisque le cyclope était devenu aveugle, ou sur le qualificatif de « mielleuses » , épithète des paroles d’Ulysse. L e plus souvent, les mots incompris étaient élucidés grâce aux leçons vues, telles que la formation des mots ou la polysémie. Lorsqu’un synonyme était donné, une comparaison était faite entre les deux pour déterminer quelle différence existait entre les deux termes, ou s’ils étaient interchangeables.

L’entrée dans le texte pouvait se faire après l’étude d’un mot. Ainsi, nous avons travaillé sur le champ lexical de la porte et de la clef, avant de lire Barbe-Bleue, de Perrault.

L’étude d’un champ lexical pouvait aussi éclairer le sens d’un texte comme pour le conte Raiponce de Grimm : nous avons travaillé sur les mots de l’envie et de la convoitise, montrant comment l’auteur suggérait l’envie irrépressible de la femme d’aller manger la raiponce du jardin de la sorcière.


5. Quelques séquences en exemple

D’une façon générale, le temps consacré aux séquences a été divisé en trois parts approximativement égales : un tiers du temps consacré à la lecture, un tiers du temps à l’écriture et un tiers du temps à la maîtrise de la langue. Le lexique n’était pas le moteur de chaque séquence mais il infiltrait toutes les séquences, son étude faisant l’objet de relances incessantes. Ainsi, la séance d’initiation au latin a débouché sur une séance sur les mots d’origine latine et grecque, et a permis de travailler sur le lexique des mathématiques.

Le lexique a été également aussi le point de départ de certaines leçons de grammaire ; lors de la leçon sur les compléments d’objet, par exemple, la séance a débuté par l’exercice suivant

Utilise chacun des mots suivants dans une phrase de ton invention. Il devra avoir un sens différent dans chaque phrase. Voler (2) – Passer (3) – Sortir (2) – Perdre (2) – Tenir (3)

Exemples de phrases attendues :

Les oiseaux volent.
Le bandit vole l’argent de la banque.

Le temps passe.
Le sportif passe le ballon à son équipier.
Je me passe de téléphone depuis une semaine.
Coralie passe pour une bonne élève.

Les élèves sortent.
Je sors ma tarte du four.

Tu as perdu !
J’ai perdu mes clés. / J’ai perdu mon père.

Tiens encore pendant quelques instants !
Il tient des ciseaux.
Je tiens à ce livre.

Cet exercice m’a permis d’aborder cette leçon d’une façon un peu différente de ce que j’avais l’habitude de faire, montrant aux élèves que des constructions différentes pouvaient induire des sens différents.
  • Séquence 2 : Histoires de Sorcières
  • Séquence 4 : L’enfant océan de Jean-Claude Mourlevat