Terminale L3 - LETTRES.
CONTROLE
DE LECTURE SUR
Le Chevalier de la Charrette
Sujet :
En quoi le titre choisi par Ch. de Troyes pour son roman est-il particulièrement pertinent ?
Ch. de Troyes débute son roman par un prologue où il dévoile les raisons qui lont poussé à entreprendre son uvre ainsi que le titre quil entend lui donner : Le Chevalier de la Charrette. Pourquoi ne pas avoir choisi comme dans Yvain ou Perceval de lui donner pour titre le nom du héros éponyme ? Ce titre interpelle le lecteur avec force par sa formulation même mais nous verrons quil entretient avec lintrigue un lien particulièrement significatif et quil rythme le récit dans une sorte de leitmotiv lancinant.
Si lon procède à un examen méthodique de ce titre, on ne peut que se féliciter du choix de son auteur. En effet, Ch. de Troyes suscite à la fois notre curiosité - qui est ce chevalier sans nom ? - et oriente notre lecture, lépisode de la charrette étant un moment clé du roman.
Demblée ce titre nous informe sur la nature du texte que nous allons lire : il sagit de toute évidence dun texte narratif, une histoire est déjà inscrite en filigrane dans le mot " chevalier " ce dernier ne pouvant être que le héros du récit. Pourtant, est-ce simple jeu ou peut-on discerner un calcul habile de lauteur ? ce dernier terme est étrangement associé au mot " charrette " par le rapprochement dun même phonème [ò ] et la majuscule qui les affecte. Qui plus est, il y a comme une dissonance, quelque chose de paradoxal dans lassociation de ces deux termes manifestement antinomiques qui ne laisse pas de surprendre. Lemploi du déterminant " la " devant le mot " charrette " laisse entendre quil ne sagit pas de nimporte quelle charrette mais dune charrette bien précise, celle qui véhicule par les rues truands et malandrins, criminels et vauriens de toute espèce : la charrette dinfamie, cest ce sens connoté qui est immédiatement perceptible pour un lecteur du XIIe siècle. Cest donc cet objet vil, comme le souligne la préposition " de ", qui devient lobjet emblématique de notre chevalier à linstar du lion animal emblématique dYvain, le chevalier au lion.
Ce titre fait en outre implicitement référence à un passage clé du roman. Il renvoie en effet à lépisode où Lancelot, démuni de toute monture, parti à la recherche de Guenièvre, doit comme le lui propose le nain qui conduit la charrette dinfamie monter dans la charrette sil veut obtenir les informations nécessaires pour pouvoir délivrer la reine des mains de son ravisseur.
Or, cet épisode nest pas sans conséquences et cette première épreuve sera déterminante pour la suite de sa quête mais également sur son destin. Le thème central de luvre se trouve ainsi mis en lumière puisque Lancelot - après un temps dhésitation, il est vrai - est le chevalier qui va sacrifier son honneur, sa réputation pour sauver sa Dame en acceptant de monter dans linfâme charrette. Ce faisant, il agit, à la différence de Gauvain, en véritable chevalier courtois qui seul est capable de placer Amour plus haut que Raison. On peut dire que ce titre a pour fonction de clamer ce combat entre Raison et Amour et de promouvoir les nouvelles valeurs de lAmour courtois, en un sens, il est comme une métaphore de lamour courtois.
Cet épisode est également essentiel dans la destinée du héros puisque désormais ce chevalier sans nom ne sera plus désigné que par ce sobriquet de " chevalier de la charrette " et les sarcasmes ne cesseront de pleuvoir à son encontre, il devient la risée de tous, objet de tous les mépris. Il faudra attendre le vers 3660 pour avoir enfin la clé de lénigme enfermée dans le titre de luvre : le chevalier de la charrette est Lancelot du Lac comme se plaît à le dire Guenièvre à la jeune pucelle émerveillée par les prouesses de ce chevalier à nul autre pareil.
Ainsi, Le Chevalier de la Charrette étant non seulement le titre mais aussi le surnom du héros éponyme, apparaît comme un fil directeur dans luvre de Ch. de Troyes et cette expression revient comme un leitmotiv qui rythme le récit. Il suffirait pour sen convaincre de compter le nombre doccurrences de cette expression dans le cours de la première partie du roman, il ny en a pas moins dune bonne dizaine ! Les uns reprochant à Lancelot dêtre monté dans la charrette, les autres, en loccurrence Guenièvre, lui reprochant de ne pas avoir été assez prompt à le faire...
Mais, ce que ce titre et sa constante répétition dans le cours du roman dit explicitement, cest le caractère unique du héros puisquaussi bien il est " le " chevalier de la charrette, celui qui entre tous a été élu, celui qui seul pouvait sacrifier son orgueil à de plus hautes valeurs, ce que au demeurant nous révèle de façon très nette la scène du cimetière. Lancelot est bien le chevalier de la charrette et par un curieux effet de renversement ce qui était signe dinfamie devient signe délection. Nul ne devient chevalier de la charrette sil na pas été choisi, Gauvain simple chevalier en sait quelque chose et cest peut être pour cela quavec malice Ch. de Troyes le met dans une situation bien ridicule lors du passage du Pont sous lEau, son orgueil de chevalier lui a interdit à tout jamais ce qui est échu à Lancelot : être le chevalier de la charrette, celui que la première Guenièvre nommera par son nom, signifiant ainsi lestime dans laquelle elle le tient.
Il apparaît ainsi quun titre est un élément constitutif du texte, essentiel, il nest ni une simple indication ni un ornement. Dans le cas de Ch. de Troyes lon se rend compte que cest bien dès le titre que se conclut entre lauteur et son lecteur un véritable pacte de lecture, tout est déjà annoncé, amorcé, le titre a bien pour fonction dorienter notre lecture et de faire de nous des lecteurs actifs qui sont partie prenante dans lachèvement de luvre par lacte de lecture de ces mots liminaires qui constituent le titre. Mais ici, quel titre ! Il y a là plus que la simple volonté de créer un suspens, tout cela procède dun talent rare.
UNITE DES QUETES DE LANCELOT
Sujet du Bac - session
de Juin 1997
Approche du sujet :
Prendre le temps de lire le sujet attentivement, c-à-d rechercher les mots
clés.
Ici : quêtes, commencer par sinterroger sur le sens du terme
dans le contexte médiéval.
Dict. quête n. f. XIIe; lat. quæsita,
fém. subst. du p. p. de quærere
Vx Action d'aller à la recherche (de qqn, de qqch.). La quête du Graal
Le terme est au pluriel, ce qui implique que lon commence par les recenser,
les identifier.
Faire un effort de réflexion, dégager la problématique.
unité des quêtes, ce qui sous-entend quil faudra essayer de voir
comment par delà la pluralité des quêtes (lesquelles ? quête de laventure,
quête amoureuse, libération des prisonniers, lutte contre le mal, quête de
soi), leur diversité, elles peuvent être reliées.
Noter des références précises au texte.
Penser à lorganisation densemble du devoir.
Dans la littérature médiévale, le thème de la quête est une caractéristique des romans de chevalerie, tous mettent en scène un chevalier errant parti sur les routes en quête daventures. Dans Le chevalier de la charrette de Ch. de Troyes, le héros néchappe pas à cette règle, puisque venu de nulle part il surgit inopinément dans le roman (p 24) alors que Gauvain sest élancé à la poursuite de Méléagant qui vient denlever la reine. Très vite nous apprendrons que le mobile de Lancelot est lamour quil voue à Guenièvre, objet de sa quête amoureuse, très vite aussi nous nous apercevrons quà cette quête se rattachent dautres quêtes tout aussi importantes, les unes se rattachant directement à la première, les autres semblant sen éloigner, toutes cependant trouvant leur unité dans la quête du " moi " de ce chevalier sans nom.
Lancelot simpose bien dès les premières pages comme un chevalier errant soucieux de sa gloire et en quête daventures assez semblable aux héros des autres romans de lépoque. Lors de sa première rencontre avec Gauvain, il vient littéralement de tuer son cheval sous lui " tant il lavait ce jour-là fatigué, tourmenté et surmené. " (p 25). Un peu plus loin, Gauvain lancé à sa poursuite " retrouva mort le cheval quil avait donné au chevalier et il vit le sol tout piétiné par des chevaux et tout autour, un amas de lances et décus brisés. " A nen pas douter notre chevalier sans nom vient daccomplir un nouvel exploit. Il nest dailleurs pas au terme de ses peines puisque tout au long du roman les aventures vont senchaîner au fil des jours et à ce titre, Le chevalier de la charrette est un roman daventure palpitant. Que lon en juge ! Dans la seule première partie du roman on ne dénombre pas moins dune dizaine de rencontres (le nain, lélégante demoiselle, le chevalier du gué, la demoiselle entreprenante, limpatient prétendant, le vieux moine, le vavasseur, le gardien du défilé, le traître, le chevalier orgueilleux, la jeune fille à la mule fauve), dans lensemble du roman nous assistons à plus de dix combats et les épreuves auxquelles est soumis le héros ne sont guère moins nombreuses. Naturellement, Lancelot est toujours vainqueur.
Mais, bien plus que laventure, cest lamour qui guide Lancelot. Il semblerait en effet que Lancelot, bien avant quil napparaisse dans le roman soit déjà parti en quête de lamour de la reine alors quil était absent lors de lenlèvement de cette dernière. La question quil adresse au nain ne laisse aucun doute à ce sujet : " Nain, au nom du ciel, dis-moi donc si tu as vu passer par ici ma dame la reine " (p 26). Cest " amour qui est enclos dans son cur " qui le pousse à agir, cest lui qui sous forme dallégorie est évoqué régulièrement par lauteur comme pour mieux insister sur le motif de la quête de Lancelot et Bademagu nhésite pas un instant lors de sa première entrevue avec Lancelot : " Je men vais aisément deviner lobjet que poursuit votre quête. La reine je crois, est celle que vous cherchez. - Sire, fait-il, vous devinez juste, aucune autre tâche ne mamène ici. ". Cest cette quête amoureuse qui conduira Lancelot à accomplir maints exploits et à surmonter des obstacles tous plus terrifiants les uns que les autres.
Cette quête amoureuse entraîne Lancelot dans une autre quête puisque le sort de la reine est lié à celui des prisonniers du royaume de Logres au royaume doù nul ne revient : il lui faut délivrer les prisonniers ! Ce faisant, Lancelot obéit aux valeurs chevaleresques, comme tout jeune homme noble fraîchement adoubé il se doit de défendre les faibles et les opprimés et de se poser en défenseur du Bien en lutte contre le Mal. Cest là lorigine des combats qui lopposent soit à tel ou tel malotru qui tente de porter atteinte à lhonneur d une jeune fille, soit à un prétendant trop empressé, soit aux gens du royaume de Gorre, soit à Méléagant lui-même, belle occasion de montrer comment le héros se conforme en tous points aux règles très strictes de la chevalerie.
Ainsi, au cours de cette double quête qui verra son accomplissement dans la nuit damour avec la reine et la libération des prisonniers, Lancelot, confronté à la double exigence de lamour et de la chevalerie se forge une identité.
Chevalier inconnu avant toute chose, chevalier de la charrette par dérision ensuite, Lancelot conquiert tout dabord un nom. Le suspens est ici savamment entretenu puisque chevalier sans nom (" un chevalier ") lors de sa rencontre avec Gauvain, son nom ne nous est jamais révélé dans la première partie du roman - soit environ 90 pages ! - pas même lorsque dans la scène du cimetière futur le vieux moine prie instamment Lancelot de lui dire qui il est : " Qui êtes-vous et de quel pays ? - Je suis un chevalier, vous le voyez, et je suis né au royaume de Logres. ". Ce nest que lors du premier combat contre Méléagant que à la demande d" une jeune fille intelligente " (" Que ne savait-elle son nom ! ") le nom du vaillant chevalier est enfin prononcé par la reine : " Lancelot du Lac, cest le nom du chevalier, que je sache ".
Illustre inconnu, au début du roman Lancelot nest rien, il fait même sourire tant sa fougue et sa soif daventures le rendent ridicule : il na plus de cheval, il part à bride abattue pour Dieu seul sait quel destin et les écus et les lances brisés saccumulent partout où il passe ! A la fin du roman Lancelot a non seulement un nom mais il sest fait un nom, il a montré qui il était, en ce sens on peut légitimement parler dune quête de lidentité. Lévolution du personnage est telle au cours du roman que Le chevalier de la charrette peut être vu comme un roman dapprentissage - si cette notion a un sens dans la littérature médiévale - en tout cas, les multiples épreuves auxquelles Lancelot est soumis témoignent de ce souci de faire de ce roman un roman dinitiation, les obstacles que doit surmonter Lancelot sont autant de moyens pour tester ses qualités physiques et morales (son courage, sa force, sa vaillance, sa bravoure, sa fidélité, sa foi, sa loyauté, etc.). Au terme du dernier combat contre Méléagant - et du roman - Lancelot est un chevalier accompli qui suscite ladmiration et lestime de tous : " Le roi, ainsi que tous les autres, en ont montré beaucoup de joie [...] et lemmènent dans lallégresse. ".
Lancelot a prouvé qui il était, il sait également qui il est. Chevalier errant il se sait investi dune haute mission, la scène du cimetière futur est très explicite : " Celui qui lèvera cette dalle par lui seul délivrera tous ceux et celles qui sont en prison au pays dont nul ne sort, ni serf ni noble, à moins dy être né. " La suite ne déçoit en rien nos attentes de lecteurs impatients : " Aussitôt le chevalier empoigne la dalle et il la soulève. ". Lancelot est donc celui qui est choisi pour délivrer du Mal ceux qui sont prisonniers au royaume de Gorre. Les épreuves que doit affronter Lancelot prennent alors une autre signification et Lancelot, nouveau Christ, vit une véritable Passion, promu Sauveur il doit se sacrifier pour délivrer ceux pour lesquels son statut de chevalier élu lui impose de tout risquer, même la vie.
Pourtant, le mobile de toutes ses actions, Lancelot le trouve dans lamour courtois quil voue à sa reine. En effet, où quil soit - forêt, château, lande, bord dune rivière, route ou haute tour - Lancelot ne pense quà sa Dame. Cest cet amour qui lui permet de se découvrir, de simposer comme un parfait chevalier alors quau début du roman il noffrait que limage dun chevalier un peu ridicule. Plaçant plus haut que tout le culte de sa Dame, Lancelot est capable de se transcender, de surmonter la souffrance, de vaincre son orgueil, de taire son nom et daccepter les pires insultes et outrages. Il faut savoir mourir au monde et à soi pour pouvoir être, disent les religieux et les psychanalystes, tel est bien le parcours de Lancelot qui accepte de se couvrir de honte en montant dans la charrette dinfamie pour pouvoir délivrer sa reine, qui encourt lopprobre en combattant au pire lorsque sa Dame le lui demande, qui risque sa vie en choisissant la voie étroite, le Pont de lEpée, en sachant bien que " jamais personne ne la franchi ".
Finalement, ce qui fait lunité des quêtes de Lancelot est là : la soumission aux règles de lamour courtois lui permet de se réaliser en tant que parfait chevalier et homme à la différence de Méléagant. Sa soif daventures est étanchée, sa quête amoureuse comblée, il a libéré les prisonniers et vaincu le Mal, il sait qui il est. Amour est don de soi, total, et cest en se perdant en lautre que lon se trouve et saccomplit, telle pourrait bien être le message que Ch. de Troyes a voulu nous délivrer tout en nous entraînant dans lunivers merveilleux du roman arthurien. Peut-être pourrait on voir dans ce roman une signification plus symbolique encore, elle nest pas impossible tant les préoccupations religieuses des hommes du Moyen-Age différaient des nôtres.
Production du groupe Lettres