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Test de Français - 2nde 10

 

Souvenir de la nuit du 4 (1)

L'enfant avait reçu deux balles dans la tête.

Le logis était propre, humble, paisible, honnête ;

On voyait un rameau bénit sur un portrait.

Une vieille grand-mère était là qui pleurait.

5 Nous le déshabillions en silence. Sa bouche,

Pâle, s'ouvrait ; la mort noyait son œil farouche ;

Ses bras pendants semblaient demander des appuis.

Il avait dans sa poche une toupie en buis.

On pouvait mettre un doigt dans le trou de ses plaies.

10 Avez-vous vu saigner la mûre dans les haies ?

Son crâne était ouvert comme un bois qui se fend.

L'aïeule regarda déshabiller l'enfant,

Disant : - Comme il est blanc ! approchez donc la lampe.

Dieu ! ses pauvres cheveux sont collés sur sa tempe ! -

15 Et quand ce fut fini, le prit sur ses genoux.

La nuit était lugubre ; on entendait des coups

De fusil dans la rue où l'on en tuait d'autres.

- Il faut ensevelir l'enfant, dirent les nôtres.

Et l'on prit un drap blanc dans l'armoire en noyer.

20 L'aïeule cependant l'approchait du foyer,

Comme pour réchauffer ses membres déjà roides.

Hélas ! ce que la mort touche de ses mains froides

Ne se réchauffe plus aux foyers d'ici-bas !

Elle pencha la tête et lui tira ses bas,

25 Et dans ses vieilles mains prit les pieds du cadavre.

- Est-ce que ce n'est pas une chose qui navre !

Cria-t-elle ; monsieur, il n'avait pas huit ans !

Ses maîtres, il allait en classe, étaient contents.

Monsieur, quand il fallait que je fisse une lettre,

30 C'est lui qui l'écrivait. Est-ce qu'on va se mettre

A tuer les enfants maintenant ? Ah ! mon Dieu !

On est donc des brigands ? Je vous demande un peu,

Il jouait ce matin, là, devant la fenêtre !

Dire qu'ils m'ont tué ce pauvre petit être !

35 Il passait dans la rue, ils ont tiré dessus.

Monsieur, il était bon et doux comme un Jésus.

Moi je suis vieille, il est tout simple que je parte ;

Cela n'aurait rien fait à monsieur Bonaparte

De me tuer au lieu de tuer mon enfant ! -

40 Elle s'interrompit, les sanglots l'étouffant,

Puis elle dit, et tous pleuraient près de l'aïeule

- Que vais-je devenir à présent toute seule ?

Expliquez-moi cela, vous autres, aujourd'hui.

Hélas ! je n'avais plus de sa mère que lui.

45 Pourquoi l'a-t-on tué ? je veux qu'on me l'explique.

L'enfant n'a pas crié Vive la République ! -

Nous nous taisions, debout et graves, chapeau bas,

Tremblant devant ce deuil qu'on ne console pas.

 

Vous ne compreniez point, mère, la politique.

50 Monsieur Napoléon, c'est son nom authentique,

Est pauvre, et même prince ; il aime les palais ;

Il lui convient d'avoir des chevaux, des valets,

De l'argent pour son jeu, sa table, son alcôve,

Ses chasses ; par la même occasion, il sauve

55 La famille, l'église et la société ;

Il veut avoir Saint-Cloud plein de roses l'été,

Où viendront l'adorer les préfets et les maires ;

C'est pour cela qu'il faut que les vieilles grand'mères,

De leurs pauvres doigts gris que fait trembler le temps,

60 Cousent dans le linceul des enfants de sept ans.

Jersey, 2 décembre 1852.

Victor Hugo, Les Châtiments, II, 3. 1853.

1. Le 2 décembre 1851, un coup d'Etat permet à Louis-Napoléon Bonaparte de renverser la Seconde République, née en 1848. Il devient Napoléon III, empereur des Français en 1852. Les républicains, suivis par une partie du peuple, essayent de résister. Une répression brutale et aveugle décourage rapidement toute tentative de révolte. Dans la nuit du 4 décembre, à Paris l'armée tire sur la foule.

*

* *

 

I - Questions de compréhension : (/ 10 pts)

1) A qui renvoient ces pronoms personnels ?

- nous (v.5),

- on (v.3,17,30,32),

- ils (v.34),

- vous (v.49).

Qu'en concluez-vous ?

2) Les vers 1 à 9 doivent scandaliser le lecteur. Dégagez dans ce passage quatre arguments implicites pouvant conduire à cette réaction.

3) "C'est pour cela que" (v.58) : Dans ce contexte, cette expression a-t-elle un sens logique ? Justifiez votre réponse.

4) En renvoyant précisément au texte, citez trois passages dans lesquels le poète agit sur les sentiments du lecteur. Définissez les procédés dont il se sert pour cela.

 

II - Travaux d'écriture : (10 pts)

1) En vous appuyant sur les vers qui permettent de reconstituer l'histoire de l'enfant, racontez-la en 15 lignes.

2) Dans les vers 42 à 46, la grand-mère, en quelques paroles, fait l'ébauche d'un réquisitoire contre les assassins de son petit-fils. Explicitez et développez l'argumentation qui s'en dégage.

 

I-1. Le pronom personnel de la 1ère personne du pluriel "nous", pronom de la présence, équivaut à je + ils. Dans le texte il représente donc l'auteur (je) et ses compagnons (ils) qui viennent de ramener le cadavre de l'enfant chez sa grand-mère.

Le pronom impersonnel de la 3ème personne du singulier "on", au vers 3, a une valeur de substitut, il correspond à "nous" et désigner comme précédemment le poète et ses amis. Au vers 17, par l'emploi du pronom "on", le poète fait allusion à l'armée qui tire sur la foule, l'adjectif "impersonnel" est entièrement justifié ici pour qualifier ce pronom. A l'intérieur du vers 30, le pronom "on" a une valeur élargie, Hugo désigne par ce pronom ceux qui ont le pouvoir, sans doute Louis Napoléon Bonaparte lui-même. Au début du vers 32, on peut penser que le pronom "on" a une valeur de substitut, il remplacerait alors le pronom personnel "nous" et désignerait la grand-mère et les personnes qui l'entourent, le peuple ; on peut cependant penser que n'ayant pas commis de mauvaise action, Hugo les présente comme les victimes d'un pouvoir dont il dénonce ainsi les exactions, ce qui justifierait le terme de "brigands". Peut-être Hugo a-t-il joué volontairement sur l'ambiguïté ?

L'étude du pronom "on" dans ce texte nous permet de constater que ce pronom, précisément parce qu'il est impersonnel peut avoir des valeurs diverses selon la situation d'énonciation.

Le pronom personnel de la 3ème personne du pluriel "ils" au vers 34 désigne de manière globale et indifférenciée ceux qui sont les responsables de la mort de l'enfant : les soldats sans doute, mais aussi ceux qui ont donné l'ordre à l'armée de tirer, le pouvoir.

Par l'emploi du pronom personnel de la 2ème personne du pluriel "vous" au vers 49, Hugo semble interpeller directement la grand-mère de l'enfant, il a donc une valeur de singulier. En fait, en s'adressant à elle, Hugo s'adresse à toutes les femmes qui ont perdu un enfant à cause de la "politique" ; ce pronom redevient bien ainsi un pronom pluriel.

I-2. Dans les vers 1 à 9, Hugo évoque une scène révoltante et veut soulever notre indignation. Cela est scandaleux tout d'abord parce que la victime est un enfant et que jusqu'à preuve du contraire, on ne tue pas les enfants. Ensuite, on remarque que l'enfant n'a pas reçu une balle mais deux, la seconde se justifie encore moins que la première, une seule suffisait si l'on peut dire... On remarque en outre que cette mort est totalement injustifiée, l'enfant n'a commis aucune faute, il jouait encore à la toupie ! Enfin, on se rend compte que l'enfant était le seul soutien de cette vieille femme. Cette mort est un meurtre, l'acte de barbares sans âme et ne peut que susciter notre mépris pour ceux qui ont donné l'ordre de tirer sur des innocents.

I-3. Une phrase dont un membre commence par "c'est pour cela que" suppose un rapport logique du type cause / conséquence. Ici, envisager l'espace d'un instant, qu'il est nécessaire que des grand-mères cousent des linceuls pour que l'Empereur puisse voir "Saint-Cloud plein de roses l'été" relève de la pure et simple absurdité. Cela fait hurler la raison ! La logique est volontairement pervertie, on s'aperçoit que Hugo exprime le contraire de ce qu'il pense, c'est ici le procédé caractéristique de l'ironie. L'écriture devient une arme pour dénoncer les caprices du prince.

I-4. Lorsqu'un auteur veut agir sur les sentiments de ses lecteurs il a recours à la fonction impressive du langage. Ici, il s'agit d'émouvoir le lecteur, d'éveiller sa compassion ; c'est l'objet du vers 4 :

"Une vieille grand-mère était là qui pleurait".

Hugo vise ensuite à nous inspirer un sentiment d'horreur devant la violence et la sauvagerie d'une telle scène ; c'est à cet effet que visent les vers 16 et 17 :

"La nuit était lugubre ; on entendait des coups

De fusil dans la rue où l'on en tuait d'autres".

En dernier lieu, le poète veut susciter notre indignation, notre révolte dans les vers 50 à 55 notamment où il est plein de sarcasmes envers celui qu'il appelait "Napoléon le petit" :

"Monsieur Napoléon, c'est son nom authentique,

Est pauvre, et même prince, il aime les palais,

Il lui convient d'avoir des chevaux, des valets,

De l'argent pour son jeu, sa table, son alcôve.

Ses chasses ; par la même occasion, il sauve

La famille, l'église et la société ;"

II-1.

Un enfant, dont la mère n'est plus, avait été recueilli par sa grand-mère, une vieille femme de condition modeste. Il allait à l'école où il donnait satisfaction à ses maîtres, c'est lui qui rédigeait les lettres de la vieille femme qui ne savait probablement ni lire ni écrire. Comme tous les enfants du monde, il aimait jouer et gardait toujours dans sa poche une toupie en buis. Pendant l'insurrection du 4 décembre 1852, comme il passait dans la rue, il fut atteint de deux balles dans la tête. C'est ce corps sans vie que le poète et ses amis ramènent dans l'humble logis de son aïeule épleurée.

II-2.

La grand-mère de l'enfant accuse ceux qui ont donné l'ordre de tirer sur la foule d'avoir assassiné son petit-fils et donc d'avoir commis un crime odieux qui ne se justifie pas.

Tout d'abord, elle tient à rappeler l'innocence de l'enfant. Il ne faisait pas partie des insurgés puisqu'il "n'a pas crié vive la République". De plus, "il avait dans sa poche une toupie en buis", cela montre bien qu'il était encore très jeune et ne pouvait guère penser à la politique.

Ensuite, la grand-mère de l'enfant souligne sa propre détresse, sa solitude morale. En effet, elle "n'avai(t)plus de sa mère que lui", ce qui, en clair, signifie qu'elle est maintenant seule au monde et se retrouve, après la mort de son petit-fils, privée de tout amour et de toute raison de vivre.

Enfin, à ce désarroi s'ajoute la perspective bien sombre de se retrouver sans ressource. Il n'y avait, on le sait, au XIXème siècle, aucune aide sociale et les personnes âgées n'avaient pas de retraite. La vieille femme espérait peut-être que devenu grand, son petit-fils l'aiderait à vivre. C'est ce que la question qu'elle pose : "Que vais-je devenir à présent toute seule ?" peut laisser entendre.

Rien donc ne peut effectivement expliquer la mort de l'enfant, tout condamne un pouvoir sans humanité pour les plus faibles. Les assassins de l'enfant sont bien indéfendables.

 

Production du groupe Lettres

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