Récit autobiographique et récit de fiction
Cette séance peut conclure une séquence
consacrée aux textes autobiographiques et aux textes à la première
personne.
Objectif de la séance : distinguer récit
autobiographique et récit de fiction
PREAMBULE
On distribue aux élèves deux textes,
l'un extrait de l'Etranger d'Albert Camus, l'autre extrait du Livre
de ma mère d'Albert Cohen. Les textes sont présentés
aux élèves sans indication des titres et auteurs.
Le but de la séance est de faire découvrir
aux élèves lequel des deux extraits est un récit autobiographique,
et lequel est un récit de fiction. Pour cela, on va comparer les deux
extraits en utilisant les compétences acquises lors de précédentes
séances consacrées à l'analyse de récits autobiographiques.
On pourra ainsi évaluer les capacités des élèves
à identifier les caractéristiques et les enjeux des textes autobiographiques.
ETAPE1
Après lecture des extraits, on demande aux élèves
d'identifier le thème de chaque extrait et de résumer son contenu
en une ou deux phrases.
Extrait 1 : un narrateur raconte qu'il vient d'apprendre la mort de
sa mère et va se rendre à son enterrement.
Extrait 2 : un narrateur raconte qu'il
a fait attendre sa mère trois heures dans un square et il le regrette
maintenant qu'elle est morte.
Thème commun aux deux textes : la mort
de la mère ; la mère.
ETAPE 2
On procède à l'analyse comparative des
extraits.
Les élèves rappellent les caractéristiques
du texte autobiographique. Au fil de l'étude, on peut noter au tableau
les éléments essentiels découverts et analysés
par les élèves sous forme d'un tableau à double entrée,
en étudiant successivement le narrateur, les systèmes de temps,
et le traitement du thème.
1) Le narrateur : les élèves
identifient deux récits à la première personne.
2) Les systèmes de temps : Dans
l'extrait 1, on fait repérer aux élèves le système
du présent par un relevé des verbes conjugués, et en
insistant sur les actions antérieures et postérieures à
ce temps repère. En cas de difficulté, on peut leur proposer
de relever les repères temporels (aujourd'hui, hier, demain soir,
etc.)
Dans l'extrait 2, on fait repérer aux
élèves le système du passé avec l'alternance
imparfait/passé simple, qui renvoie au temps du souvenir. Puis, on
leur fait repérer les phrases au présent (qu'on fera souligner
si nécessaire). A quoi renvoient-elles ? au temps de l'écriture,
ce qui permet de distinguer le récit au passé et les commentaires
du narrateur.
3) Le traitement du thème :
Dans l'extrait 1, on invite les élèves à refléchir
sur la manière dont est évoquée la mère : quel
volume de texte lui est consacré ? à peine trois lignes, le
reste du texte étant consacré aux actions futures du narrateur
et à l'entrevue avec son patron. L'événement est banalisé,
aucune émotion ne m'accompagne, le ton est neutre, les phrases courtes.
Dans l'extrait 2, on pose les mêmes questions
aux élèves pour les amener àconstater que l'évocation
de la mère occupe tout le texte. On étudie son portrait détaillé
en demandant aux élèves de relever les termes qui la caractérisent
et d'identifier un champ lexical, celui de la résignation ("patiente
", " résignée ", " habituée ",
" sans révolte ", " humble servante", "
pauvre sainte poire ", " somnolence d'esclave ou de chien fidèle
").On fait repérer le vocabulaire dominant, celui du souvenir
et du sentiment, ainsi que les répétitions. On peut aussi
faire comparer la longueur des phrases et la différence de ton employé
pour évoquer la mort
Au terme de l'analyse, les élèves devraient remarquer que
le thème est traité de manière radicalement opposé
dans les deux extraits.
ETAPE 3
Au terme de ces lectures, les élèves
répondent à la devinette : quel est le récit autobiographique
et quel est le récit de fiction ? Ils doivent justifier leur réponse
en s'appuyant sur les éléments du tableau.
ETAPE 4
On dévoile aux élèves les titres
et auteurs et on leur demande de rentre à chaque extrait son auteur
et son titre en justifiant leur choix.
ETAPE 5
Synthèse écrite, soit copiée au
tableau, soit à faire rédiger par lesélèves, en
fonction du temps.
Exemple de synthèse : L'étude
de ces deux extraits permet d'observer deux traitements différents
du thème de la mère. Dans l'Etranger, récit de fiction,
le narrateur ne manifeste apparemment aucune émotion à la mort
de sa mère ; le récit s'attarde davantage sur ses actions futures.
Dans Le livre de ma mère, récit autobiographique, le narrateur
fait alterner le récit du rendez-vous avec la mère qui donne
lieu à un portrait très nuancé de celle-ci (temps du
souvenir), et des commentaires sur ce récit et sur la mort (temps de
l'écriture). Ecrire devient alors pour l'auteur le seul moyen de faire
revivre sa mère.
Extrait
1 |
Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être
hier, je ne sais pas. J'ai reçu un télégramme de
l'asile : " Mère décédée. Enterrement
demain. Sentiments distingués . " Cela ne veut rien dire.
C'était peut-être hier.
L'asile de vieillards est à Marengo, à quatre-vingt kilomètres
d'Alger. Je prendrai l'autobus à deux heures et j'arriverai dans
l'après-midi. Ainsi, je pourrai veiller et je rentrerai demain
soir. J'ai demandé deux jours de congé à mon patron
et il ne pouvait pas me les refuser avec une excuse pareille. Mais il
n'avait pas l'air content . Je lui ai même dit : " Ce n'est
pas ma faute. " Il n'a pas répondu. J'ai pensé alors
que je n'aurai pas dû dire cela. En somme, je n'avais pas à
m'excuser. C'était plutôt à lui de me présenter
ses condoléances. Mais il le fera sans doute après-demain,
quand il me verra en deuil. Pour le moment, c'est un peu comme si maman
n'était pas
morte. Après l'enterrement, au contraire, ce sera une affaire
classée et tout aura revêtu une allure plus officielle.
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Extrait 2 |
Un jour, à Genève, lui ayant donné
rendez-vous à cinq heures dans le square de l'Université,
je n'arrivai, retenu pas une blondeur, qu'à huit heures du soir.
Elle ne me vit pas venir. Je la considérai, la honte au cour,
qui m'attendait patiemment, assise sur un banc, toute seule, dans le
jour tombé et l'ai refroidi, avec son pauvre manteau trop étroit
et son chapeau affaissé sur le côté. Elle attendait
là, depuis des heures, docilement, paisiblement, un peu somnolente,
plus vieille d'être seule, résignée, habituée
à la solitude, habituée à mes retards, sans révolte
en son humble attente, servante, pauvre sainte poire. Attendre son fils
pendant trois heures, quoi de plus naturel et n'avait-il pas tous les
droits ? Je le hais, ce fils. Elle m'aperçut enfin et elle se
remit à vivre, toute de moi dépendante. Je revois son
sursaut de vitalité revenue, je la revois passant brusquement
de l'hébétude à la vie, rajeunie, brusquement passant
de sa somnolence d'esclave ou de chien fidèle à un extrême
intérêt à vivre. Elle ajusta son chapeau et ses
traits, car elle tenait à me faire honneur. Et ensuite, maman
vieillissante, elle eut ses deux gestes à elle, d'où lui
étaient-ils
venus et en quelle enfance avaient-ils été puisés
? Je les revois si bien, ses deux gestes gauches et poétiques
quand, de loin, elle me voyait arriver. Le terrible des morts, c'est
leurs gestes de vie dans notre mémoire. Car alors, ils vivent
atrocement et nous n'y comprenons plus rien.
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Le 7 décembre 2001
Isabelle CHAARAOUI
Professeur de Lettres au Collège Edouard Manet, Marseille
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