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TEXTE 1

 

LXXVIII.SPEEN

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis, Et que de l'horizon embrassant tout le cercle Il nous verse un jour plus triste que les nuits ;

Quant la terre est changée en un cachot humide, Où l'Espérance, comme une chauve-souris, S'en va battant les murs de son aile timide Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;

Quand la pluie étalant ses immenses traînées D'une vaste prison imite les barreaux, Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

Des cloches tout à coup sautent avec furie Et lance vers le ciel un affreux hurlement, Ainsi que de s esprits errants et sans patrie Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

Et de longs corbillards, sans tambours ni musique, Défilent lentement dans mon âme ; l'espoir, Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique, Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

 

Charles Baudelaire - Les Fleurs du Mal - 1861