Le roman historique Galère de voyage a été écrit par des élèves de 4e du collège Jules Verne, en 1996/97. La trame du roman avait été conçue par des élèves de 3e actuellement en lycée à l'initiative de leur professeur d'histoire, Jany Volpi, et avec l'aide de Marie Savornin, auteur pour enfants. Cela dans le cadre d'un projet d'action éducative.
Sans appartenir à l'équipe pédagogique de cette classe, j'ai suivi ce projet, et j'ai corrigé les dernières épreuves du texte avant impression.
Ce court roman (moins de 80 pages) est donc entré en juin 1997 dans la littérature pour la jeunesse. Même s'il a été écrit, comme le présente la fiction, parce qu'il correspondait au programme d'histoire de 4e, il m'a paru intéressant de le présenter à ma classe de 6e pour plusieurs raisons : d'une part les autres romans écrits au collège avec la collaboration de Marie Savornin ont toujours suscité l'enthousiasme de leurs lecteurs (Course contre la mort, roman policier, Remue-ménage à la campagne et le dernier né, Indigo, couleur de vie, où le héros est un loup, qui a également été écrit en 1996/97). De plus, les élèves-auteurs du roman sont encore dans le collège, ce qui nous permettait de les interroger sur cette expérience remarquable. Enfin, les faits relatés appartiennent à l'histoire locale : beaucoup d'élèves connaissent au moins de nom la propriété où le crime a été perpétré. Tout cela offrait des conditions de lecture privilégiées. Nous avions travaillé sur le récit à partir des Contes du chat perché, de Marcel Aymé, pendant tout le premier trimestre. C'est donc dans la perspective d'une consolidation des notions de base d'analyse du récit que nous avons abordé le texte et non dans celle d'une étude spécifique du roman historique, même si l'aspect historique a été envisagé, notamment à propos du travail sur les personnages.
Je présente donc ici une ébauche de travail un peu cahotante, qui s'est élaborée au fil du travail, et dans l'optique de ne jamais lasser les élèves. Même s'il est mince, le roman est très riche, et on peut l'aborder par quantité de facettes. Il a fallu aussi, bien évidemment, tenir compte du niveau de la classe et surtout de son état psychologique global : leur professeur principal l'a définie comme "volcanique" au conseil du trimestre, et les professeurs de l'équipe ont pratiquement tous déclaré qu'il était hors de question de pouvoir "faire le programme", selon l'expression consacrée, avec une classe composée de telles "cocottes minute" ! Pour libérer la pression, j'ai donc envisagé de bâtir le travail sur une trame purement scolaire assez mince, mais de multiplier les activités et les rencontres qui nous permettraient de comprendre la genèse d'un roman.
J'ai présenté rapidement le roman à mes élèves avant les vacances de Noël, et je leur ai demandé d'en lire les premiers chapitres. À la rentrée, rapide sondage, et quelques élèves mauvais lecteurs ayant broché, nous avons lu ensemble le premier chapitre, en expliquant ce qui avait pu leur échapper, ou même en découvrant le texte pour ceux qui n'avait pas encore saisi le fonctionnement de leur cahier de textes et surtout pour lancer l'appât, en espérant qu'ils se feraient happer par l'histoire comme les élèves de la fiction l'avaient été par les tableaux de Roberty.
Séance suivante, contrôle avec phrases à trous
:
1. Le château que les élèves décident
de visiter s'appelle :
2. Il est situé sur la commune de :
3. Dans quelle pièce du château a eu lieu l'assassinat
de son propriétaire sous la Révolution ?
4. Quel est l'élément perturbateur du récit
?
5. L'un des élèves se retrouve seul dans la
bibliothèque parce qu'il s'est décidé plus tard
que les autres. Son nom est :
6. Il se retrouve brusquement sur l'estrade où un jeune
saltimbanque harangue la foule. Celui-ci s'appelle :
7. Les autres se retrouvent dans le port de :
en Inde.
8. Leur bateau s'appelle :
9. Ils vont dormir dans :
10. Ils s'habituent à leur nouvelle vie sur le bateau, mais
ils subissent une terrible
et Alexandre a failli
Il est évident que sous couvert de contrôle, je lance un deuxième appât ! Néanmoins, un seul élève a oublié de lire à la maison, ce qui est un score dans cette classe ! Et les notes vont de 7 à 17. La correction se fait sur le vif, avec preuves à l'appui, ce qui déclenche toujours une vive émulation.
Comme ce qui les arrête dans leur lecture est leur méconnaissance du lexique, et comme curieusement, ils aiment employer des termes savants, je leur annonce l'étude du "champ lexical", et notamment, comme exemple, celui du champ lexical des termes de marine au temps de la marine à voile.
Relevé d'un bon lecteur :
VOILIER DE PLAISANCE : voiles, vagues, moussaillon, matelot,
naviguer, flotter, équipage, cordages, passagers, bateau,
voyage, cabine, mât, capitaine, pont, baleine,
passagères, navire, port, marins, quais.
VOILIER DE GUERRE : pirates, jambe de bois, corsaires, guerre,
vaisseaux, canons, combats, officiers, bordée, bateau,
capitaine, flotte, pavillon, abordage, marins, navire, quais.
Rien de bien méchant, comparé au même champ dans L'île au trésor, par exemple, mais il faut bien avouer que l'idée ne me vient plus depuis un certain temps, de le faire lire à ce genre de classe !
Justement, la simplicité de l'écriture me permet de faire appliquer ma méthode d'analyse grammaticale de phrase sous forme de "maison-phrase" (en gros, il s'agit de caser chaque groupe fonctionnel dans une des pièces d'une maison, dont on a décidé qu'elle abritait des habitants et des invités auxquels on attribue un code de couleurs ; la maison construite, on gagne un temps fou dans les contrôles en numérotant les "paquets" fonctionnels et en reportant les numéros dans les cases prolongées à partir du dessin photocopié de la maison). Donc, analyse des phrases simples de la page 22 de Galère de voyage. Le rêve ! C'est un tel plaisir que les élèves réclament un contrôle ! Ce que je leur promets bien volontiers pour la semaine suivante. (J'apprendrai d'ailleurs qu'un des élèves les plus cossards a travaillé à la chose tout le week-end ! ).
CONTRÔLE DE GRAMMAIRE : analysez les phrases simples de la p. 45 de Galère de voyage, après les avoir numérotées dans la marge (il y en a onze, et j'ai vérifié que ça faisait quarante "paquets" à classer).
À part trois élèves dont le cas est pour le
moment désespéré, sur le plan grammatical
s'entend, tout le monde a eu la moyenne ! Et les notes vont de 9
à 18.
Ce succès me permet d'annoncer un contrôle de lecture
plus difficile sans trop d'arrières pensées.
CONTRÔLE DE LECTURE sur les chapitres 8, 9, 10, 11 de
Galères de voyage.
1. Racontez le repas à l'auberge au XVIIIe
siècle comme si c'était vous qui y aviez assisté
(noté sur 10).
2. Quelle était la quête des jeunes collégiens ?
(sur 2)
3. Par quel miracle se retrouvent-ils tous les cinq ? (sur 2)
4. Quels furent les responsables du drame qui s'est
déroulé à Roberty ? (sur 2)
5. Comment ceux-ci furent-ils punis et où ? (sur 2)
6. Quel objet restera le témoin de l'escapade des cinq
collégiens ? (sur 2)
Fiasco ! Seuls les quatre ou cinq bons lecteurs sautent par-dessus la barre de la moyenne. Je mets en place une correction-remédiation.
Champ lexical du repas dans une auberge au XVIIIe
siècle :
- Mets : potage "à la cocarde", perdrix
rouge, tourte aux épinards, gigot d'agneau, gaufres et trois
sortes de pains : le pain d'alise, le pain ballé, le main
mollet.
- Boissons : vin, bière, eau de vie.
- Vaisselle : assiettes et gobelets en poterie
épaisse, couverts en étain.
- Salle : pièce sombre, bruit
assourdissant, odeur âcre du tabac, sol de terre abattue
recouvert de lattes de bois disjointes, cheminée.
- Mobilier : longues tables, bancs
vétustes, chandelles dégoulinantes de graisse.
- Convives : soldats, paysans, artisans,
ivrognes, aristocrates, gendarmes.
Tous les élèves sont dans l'obligation de
réécrire la réponse à la question. Voici
un exemple de ce qu'une élève a produit avant et
après :
- Première version de la narration du repas à l'auberge
en disant : je (focalisation interne, mais là, je n'emploie
pas les grands mots avec les élèves) :
« J'étais passée dans un tableau et je me
retrouvai au XVIIIe siècle et j'assistai à
un repas dans une auberge. Ce repas, il avait été bon,
mais il y avait quelqu'un qui s'approchait de notre table ; j'avais
très peur, alors je montai dans ma chambre ».
- Deuxième version, après relevé du champ
lexical :
« Je suis rentrée dans l'auberge et je me suis assise
près du feu. Il y avait de longues tables avec des bancs. J'ai
appelé l'aubergiste et je lui ai demandé le menu.
C'était : potage à la cocarde, perdrix rouge, tourte
aux épinards, du gigot d'agneau, et en dessert une gaufre.
Cette salle était assourdissante et avait une forte odeur de
tabac. D'un seul coup, je vois un enfant mal vêtu et noir comme
du charbon s'approcher de la table en regardant ma gaufre. Alors, je
lui en donnai un bout ».
Certains élèves n'avaient pas vraiment lu tous les chapitres demandés. Pour relancer l'intérêt, et en espérant qu'ils remettraient le nez dedans pour l'occasion, j'ai lancé l'idée d'interviewer les élèves-auteurs, actuellement en classe de troisième. Chacun prépare au moins une question et on vérifie qu'elles ne se recoupent pas. On n'a rien éliminé, même si certaines ont paru saugrenues (« Est-ce que le pékinois de madame de Latour a vraiment été transformé en truffes par le cuisinier du bateau ? ... Est-ce que les élèves ont été payés pour écrire le roman ? »... Après tout, ils ont bien le statut d'auteurs : ils paraissent en première page de couverture ! ).
Extrait de l'interview des élèves de 3e3
par les élèves de 6e3 :
« - À partir de quoi avez-vous le plus
travaillé ?
- On a fait une visite aux Archives, à Avignon, avec Madame
Volpi, notre professeur d'histoire et ensuite on a pu travailler sur
les textes qu'on avait sélectionnés là-bas.
- Avez-vous tout trouvé vos informations aux Archives
?
- Non, on s'est aussi aidés de documents au CDI, comme le
cédérom : le mystère du passager clandestin (qui
se passe à bord d'un voilier au XVIIIe) (chez
Nathan) : on se balade dans le bateau, on voit comment nettoyer le
pont, comment déployer les voiles ou l'attirail du chirurgien
; on nous présente le bateau coupé en tranches et
grâce à la souris, on peut se balader où on
veut.
- On a eu aussi l'aide de Madame Sarto, notre professeur de
technologie, qui nous a appris à nous servir du logiciel :
"J'ai vécu au XVIIIe siècle" (Dominique Natanson,
Nathan).
- Qui vous a aidés en plus de Madame Volpi et de Madame
Sarto ?
- Le professeur de français et le professeur de dessin n'ont
pas voulu, ça leur faisait une surcharge de travail.
- Qui d'autre vous a aidés, alors ?
- Marie Savornin, qui a déjà écrit beaucoup de
livres pour enfants ; elle nous a préparé des fiches de
travail. Elle venait nous voir tous les lundis et on prenait une
heure d'histoire et on faisait les textes. Elle nous aidait à
les travailler et nous les donnait à finir pendant les
week-ends.
- Comment se passait une heure avec Marie Savornin ?
- On avait déjà la trame qui avait été
écrite par des élèves de troisième, et un
résumé pour chaque chapitre. On trouvait des
idées pour compléter les chapitres.
- Qu'est-ce qui est le plus difficile dans l'écriture d'un
livre à plusieurs ?
- C'est de se mettre d'accord sur les idées qu'on a des fois,
parce qu'il y en a qui veulent changer des choses qui plaisent bien
à d'autres ; ça c'est très difficile ! Et
surtout, il ne faut pas s'éloigner de l'histoire, il faut bien
garder le fil.
- Est-ce que Polier de Bottens, de Villedeuil, c'est des vrais
noms ?
- Polier de Bottens, c'est le vrai nom de l'ancien
propriétaire de Roberty, mais de Villedeuil, ça a
été inventé. »
La question des personnages "vrais" ou "pas vrais" m'a
amenée à faire le tri et à mettre au point la
notion de personne et de personnage. Un élève a
proposé de faire un tableau vide à l'ordinateur. Nous
l'avons ensuite utilisé malgré quelques erreurs.
D'autre part, l'interview des élèves de
troisième a entraîné une vive curiosité
pour les Archives départementales à partir desquelles
les "grands" avaient travaillé pour écrire le roman.
Nous avons décidé d'y aller nous-mêmes. Nous y
avons été accueillis par une personne remarquable, qui
a d'abord répondu à toutes les questions, avant de nous
confier les "vrais" documents, pour que chacun essaie d'en
déchiffrer un court passage. Et l'émotion a
été forte quand elle nous a lu le rapport du
médecin légiste, décrivant, de façon
terriblement précise, et dans la belle langue du
XVIIIe, le cadavre de "l'infortuné Polier".
Compte rendu de la visite aux Archives départementales
d'Avignon :
Les Archives départementales du Vaucluse sont
installées dans une partie du Palais des Papes, à
Avignon.
Elles sont conservées en partie dans une ancienne chapelle,
bâtie par Benoît XII, et dont le toit en bois a
brûlé.
Cette chapelle a servi de cour pour la prison des femmes au
XIXe siècle. Elle est maintenant couverte d'une
voûte en pierre blanche.
C'est en 1882 (MLCCCXXCII) qu'elles ont été
installées dans cette immense pièce.
Le plus ancien document date de 907 (Xe siècle) et
il relate le don d'un château à l'évêque
d'Avignon par l'empereur du Saint-Empire.
Les Archives possèdent aussi l'acte de vente de la ville
d'Avignon au Pape par la reine Jeanne de Naples.
Tous les types de documents sont classés par des lettres ; par
exemple, les documents concernant La Révolution
française sont classés sous la lettre L. À
l'intérieur d'une même lettre, il existe des
sous-parties classées par des chiffres. Par exemple : 7 L :
justice sous la Révolution. 7L55 : tribunal d'Avignon sous la
Révolution.
De nos jours, la plus grosse partie des archives vient des
administrations. Il y en a tellement qu'on a pris la décision
de supprimer les enquêtes et les plaidoiries des procès
: on n'en garde que le résultat. Les procès complets ne
seront conservés que tous les dix ans.
C'est le roi Philippe Auguste qui a décidé que les
archives seraient conservées dans un bâtiment,
classées et lues par des spécialistes : les
archivistes.
On ne peut consulter un document aux Archives que s'il y est
resté au moins trente ans. Si le document concerne la
sécurité de l'État, il faut attendre soixante
ans.
Le jour-même où nous sommes allés à Avignon, nous avons pu y rencontrer l'auteur Marie Savornin, qui a écouté les questions des élèves mais qui, à cause du manque de temps, nous a promis d'y répondre par cassette.
Interview de Marie Savornin, auteur pour enfants :
« ... Pour "Galère de voyage", on est partis du
scénario qui avait été écrit par
d'autres, mais tellement bon qu'il était difficile de
l'améliorer. Nous étions allés visiter le
château de Roberty... Il fallait fermer les yeux et s'imaginer,
montant l'escalier, traversant les pièces et entendre
peut-être les gens, les voir en costume et voir se
dérouler les scènes.
En fait, il y avait deux choses importantes : un voyage en France
à pied, et le retour de Polier qui revenait des Indes en
bateau. J'avais fait des petites fiches de travail parce que les
élèves n'avaient pas le temps matériel de lire
des livres épais comme des dictionnaires qui racontaient
l'histoire des voyageurs qui partaient pour les Indes au
XVIIIe siècle. On a trouvé notamment
l'histoire d'un astronome qui s'appelait Le Genty, qui a perdu dix ou
onze ans de sa vie à courir derrière une étoile,
Vénus je crois, qui devait passer devant le soleil, et le
dernier jour, pour un problème de nuages, il rate Vénus
! Et quand il revient en France, il s'aperçoit qu'on l'a cru
mort, qu'on l'a décoré et qu'on a versé une
pension à sa veuve ! Je trouvais que l'histoire était
belle.
Et donc pour la France, c'était pareil, on avait
décidé de trois ou quatre villes qu'il fallait
traverser, et de ce qu'il fallait en montrer : Lyon, c'était
les hôpitaux, Nevers, le marché, Paris, c'était
la vie à Paris avec quelques descriptions de rues. On est
partis du livre de Louis Sébastien Mercier : "Paris le jour,
Paris la nuit", qu'il a décrit les rues une par une, avec leur
nom, ce qu'on voyait en levant les yeux, ce qu'on mangeait dans la
rue, tous les bruits, toutes les descriptions partent de notations
vraies, dont nous nous sommes servis. Il y a en fait très peu
de choses inventées. Simplement, ce qu'on a inventé et
qui est un travail difficile, c'est de créer une
atmosphère, d'inclure les cinq collégiens à
l'intérieur... Et, si, d'inventer la fin, la très belle
fin. Mais tout le reste est pratiquement de la mise en oeuvre
d'archives.
... Ce que vous ne devez surtout pas oublier, c'est le plaisir de
lire. Si vous allez à la bibliothèque, il faut que vous
preniez le temps de choisir un livre, de vous faire plaisir avec la
couverture, de lire le résumé, et puis de vous dire que
si jamais celui-là ne vous plaît pas, ce n'est pas
grave. On a le droit de zapper avec les livres comme à la
télé. L'important c'est de trouver un jour celui qui
vous plaît et de vous installer dans un petit coin, et si vous
n'arrivez pas à le fermer, si, à l'heure du repas, vous
êtes toujours à vouloir savoir la fin, ça y est,
c'est que vous tenez le bon !
La culture générale, c'est important, c'est ce qui fait
qu'un jour, quelqu'un aura le plaisir à parler avec vous
d'autre chose que du film à la télé. C'est que
vous serez quelqu'un d'intéressant et d'agréable
à fréquenter. Et ça, ce n'est pas
forcément l'école ni même les parents qui le
donnent. C'est à vous de vous prendre en main et de le faire
tout seuls. »
Belle admonestation ! Mais pour ce qui est de la naissance du roman, nous ne sommes qu'à peine éclairés. Souvenons-nous de ce que disait Flaubert, à Léon Hennique : « Dieu sait à quel point je pousse le scrupule en fait de documents, livres, informations, voyages, etc. Eh bien je regarde tout cela comme très secondaire et inférieur. La vérité matérielle ne doit être qu'un tremplin pour s'élever plus haut ».
Mais il nous faut quitter les pures délices de la lecture et les profonds mystères de l'écriture pour aborder les dures réalités d'une fin de trimestre en classe de collège : nous allons mettre à profit la lecture de Galère de voyage pour faire une mise au point des notions acquises sur le récit.
Schéma narratif de Galère de voyage :
- Situation initiale : cinq collégiens de
quatrième préparent un exposé sur le
XVIIIe siècle.
- Élément perturbateur : au cours
de la visite d'un château, le personnage d'un tableau leur fait
remonter le temps.
- Transformations : les collégiens se
retrouvent au XVIIIe siècle et ils vont être
les témoins impuissants d'un meurtre.
- Résolution : ils assistent au meurtre
de Monsieur Polier de Bottens et à l'exécution de ses
meurtriers et ils repassent dans le XXe
siècle.
- Situation finale : deux des collégiens
retrouvent leur carnet de bord chez un bouquiniste d'Avignon.
- Les personnages : différence entre
personne et personnage.
Une personne est un être réel qui a vécu à
une époque précise. Ex. : Antoine Polier de Bottens,
ancien propriétaire du domaine de Roberty sous la
Révolution.
Un personnage est un être fictif qui n'a d'existence que dans
le texte. Polier de Bottens est donc à la fois personne et
personnage, ce qui est la caractéristique du roman historique.
»
Schéma actantiel de Galère de voyage
Reste à concevoir celui des actants du XVIIIe et,
comme l'ont suggéré les élèves un
système de passerelle entre les deux.
Restent à concevoir bien des choses ! J'aurais bien aimé, par exemple, faire faire un travail sur toutes les passerelles, justement, entre les deux époques, que ce soit par les lieux, par les objets, par les moyens de locomotion, et qui créent constamment ces effets de surprise qui sont un des multiples charmes du récit.
Une dernière remarque sur la poésie du texte : face à la description minutieuse et réaliste du médecin légiste offerte par les archives (« Il était couché sur le dos, le bras gauche étendu, le droit plié sur la poitrine, et ayant ses vêtements inondés de sang. L'ayant successivement dépouillé pour m'assurer du siège des blessures, j'ai d'abord trouvé des déchirures larges à la chemise. L'ayant fait enlever, j'ai reconnu une plaie large de plus d'un pouce située à côté et au-dessous du mamelon gauche, pénétrant dans la poitrine, et dans la capacité de laquelle le coeur était blessé, d'où il résulte que cette plaie seule était évidemment mortelle. Elle m'a paru avoir été faite par un instrument tranchant très affilé qui ne pouvait être qu'un sabre »), voici le choix qui a été fait pour le texte romanesque et qui s'applique à la même scène : « Ils trouvèrent le corps de Monsieur Polier de Bottens allongé de tout son long dans la cave. Il était vêtu d'un habit de drap gris, d'un gilet de flanelle d'Angleterre, d'un autre de soie blanche et d'un troisième de soie rouge brodé. Il portait un pantalon de satin noir, des souliers à ganses et un fichu de soie au cou. Il avait été tué de quatre coups de feu et d'un coup de poignard ».
Beauté de l'image due à l'élégance du
personnage, et métaphore du rouge du gilet brodé, peint
juste avant la phrase rapide et sobre qui décrit le
meurtre.
Il est évident que le travail sur le style ne pourra
être entrepris que plus tard... Mais il faut laisser de quoi
faire aux futurs élèves de quatrième !
Marie B. Coiffard, Jules Verne, Le Pontet, Vaucluse, 1998