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Yves Bonnefoy Les Planches courbes


Dans le leurre des mots



Ce travail sur Les Planches courbes d’Yves Bonnefoy a été réalisé par Mme Florence CHARRAVIN-BRAS, professeur agrégé de Lettres Modernes au Lycée Aubanel d’Avignon, avec ses élèves de Terminale L.

Objectifs 

Comment donner aux élèves de terminale L les moyens de lire la poésie d’Yves Bonnefoy ? Tous soulignent la simplicité du langage et la difficulté qu’ils ont a découvrir le sens.

Le travail accompli en première sur la poésie et la modernité donne des outils pour aborder le texte de Bonnefoy. Je m’appuie sur la forme pour accéder au sens.

1. " Les planches courbes " Etude du texte et réflexion sur la forme en prose.

2. " Dans le leurre des mots " : reprise de l’étude selon l’ordre du recueil, et mise en évidence de la question du langage. Mon objectif est de parvenir à dégager des notions clés de la poésie de Bonnefoy en procédant à une description de la forme poétique.

L’étude s’appuie donc sur un repérage familier aux élèves :

  • organisation du texte en deux parties
  • repérage des strophes
  • mètre des vers
  • rimes

Le poème présente une liberté formelle, mais une certaine régularité, la strophe 2 par exemple privilégie le décasyllabe. Plusieurs strophes sont composées d’un nombre identique de vers. On note quelques vers courts à l’attaque des strophes, ainsi mis en valeur en particulier "ô poésie ". La forme laisse la possibilité de variations à l’intérieur d’un cadre qui offre une souplesse au discours. Le poème présente donc des caractéristiques de la poésie moderne sans toutefois abandonner le vers ni la ponctuation. Mais c’est surtout la disparition de la rime qui marque la distance avec l’exigence formelle, hormis la rime riche " espérance " " indifférence" (p 76 édition Poésie/Gallimard).

A la rime qui crée le rythme et souligne le sens, se substitue une répétition de mots en fin de vers. Les élèves repèrent ces mots qui reviennent dans une même strophe ou se retrouvent en écho d’une strophe à l’autre. Ils sont ensuite rassemblés selon les critères suivants :

  • champ sémantique : " terre ", " monde " ; " rêve ", " chimère " ; " mémoire ", " souvenir "
  • champ lexical : " parole ", " langage ", " mots " ; " repos ", " sommeil ", " nuit " ; " nuit ", " lumière ", " rêve ", " espérance ", " terre ", " rive, rivage "
  • paronymie : " rêve ", " rive " ; " lèvres ", " livre " (mise en évidence de la contiguïté du sens)

Le travail effectué montre que le sens est privilégié, ce qui est caractéristique de la poésie de Bonnefoy. Un univers se définit :

  • Un lieu : la terre, le monde.
  • Un temps : temps humain inscrit dans la durée.
  • Une présence de l’être à travers les rêves, la quête d’une rive, du sens redonné au langage.

On peut maintenant éclairer la notion de finitude qui caractérise la condition humaine mesurée par la durée et la fin " au bas du monde mort ", derniers mots du poème. Cependant la terre est notre lieu et il faut redonner l’espérance aux hommes qui rêvent dans la nuit tel Ulysse en errance dans son long périple. Le texte invite à une réflexion sur le rôle de la poésie, celle-ci concerne la communauté des hommes séparée de la réalité du monde par le langage. En effet la poésie est ce qui donne sens et vie, elle est " la première parole après le long silence ". La poésie de Bonnefoy a une portée philosophique, elle explore le sens à travers le sensible : le rêve, le désir et rejette le concept. Elle offre le lieu, la rive que l’on espère comme but du voyage en restituant la réalité du monde à travers les mots simples qui ne sont plus des mensonges. La poésie qui rend le " monde habitable " n’exclut pas le rêve mais invite à accepter la fragilité du monde, ce qui en fait sa beauté. Elle est présence au monde. En cela on peut rappeler que Bonnefoy met en cause les chimères romantiques et toute quête d’un autre monde, de l’infini ou d’un au-delà consolateur.

Ce travail peut se poursuivre ainsi :

- Etude de l’énonciation, le " je " qui exclut un " je " personnel lyrique mais instaure la voix du poète. Le " nous ", et ultérieurement la figure de l’enfant qui permet une transition avec "La maison natale ".

- Le mythe. La poésie de Bonnefoy est érudite, un faisceau de mythes parcourt les poèmes et crée une unité : le passeur, Ulysse, Cérès, Armide, et de façon implicite Orphée, Moïse. La barque, le navire, le fleuve, le voyage sont des images qui renvoient aux poètes : Baudelaire, Rimbaud, Apollinaire. Il est également possible d’évoquer la peinture, Bonnefoy a beaucoup écrit sur la peinture et exprime sa fascination pour les grands tableaux de Nicolas Poussin " Moïse sauvé des eaux ". Les ouvertures dans le domaine des arts sont donc très vastes.

- La question des images : si Bonnefoy a rejeté l’illusion trompeuse des images, il affirme la nécessité du rêve. Les mots sont là pour redonner à la terre sa beauté " L’or que nous demandons, du fond de nos voix ". Par des mots simples, la poésie rend à l’homme sa place dans le monde. C’est aussi l’occasion de s’interroger sur le mot " leurre " du sens concret à l’abstrait, ou sur le titre Les Planches courbes qui renvoie à une réalité simple et dénuée de représentations culturelles ou de connotations.

- Enfin la lecture à voix haute de ce texte est une merveille, les élèves aiment lire ces poèmes dont le rythme est admirable et l’énigme envoûtante. Peut-être est-ce là l’enchantement du monde.

Bibliographie et sites:

Bibliographie :

Dictionnaire de poésie de Baudelaire à nos jours PUF, article " Bonnefoy " de John E. Jackson.

Sites pour l’étude d’Yves Bonnefoy Les Planches courbes Terminale L

www.ac-grenoble.fr : compte-rendu du cours de M-C Bancquart, professeur à Paris-Sorbonne, intitulé " Mémoire personnelle et mémoire mythique dans les Planches courbes ".

Site personnel de J-M Maulpoix, professeur à Paris X Nanterre de poésie moderne et contemporaine : www.maulpoix.net

2 articles :

- Introduction à l’œuvre poétique de Bonnefoy. Cours très clair, s’ouvrant sur les questions du leurre des images et du désir de plénitude.

- Article sur Les Planches courbes, intitulé "La voix qui espère", publié dans la Quinzaine littéraire en 2001 à l’occasion de la sortie du recueil.

Consulter également www.maulpoix.net/Habiter1950.html , pour accéder directement à un cours faisant le point sur les courants de la poésie française : les poètes des dernières décennies sont regroupés en " famille ". Bonnefoy est évoqué à propos de " l’habitation " poétique du monde, de la double quête du lieu et de la présence, et de la mise en cause de l’image.