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MANON LESCAUT de L'Abbé Prévost : Le personnage, un exemple ?



Cette séquence correspondant à l’objet d’étude « le roman et ses personnages, vision de l’homme et du monde » et portant sur l’étude de Manon Lescaut de l’Abbé Prévost, a été réalisée par Monsieur J.-B. CAYLA, professeur agrégé au Lycée Thiers de Marseille, pour ses élèves de 1ère S.

La pagination donnée est celle de l’édition Librio, mais les élèves ont utilisé des éditions variées (ils ont donc dû repérer les extraits étudiés avant chaque séance). Pour l’introduction et les notes, l’enseignant peut utiliser l’édition de Frédéric Deloffre et Raymond Picard (Folio Classique).
  • C’est la cinquième séquence de l’année (début mars), avec une classe de 1ère S de niveau moyen / bon.
  • Un gros travail a déjà été fait sur le théâtre, qui nous a servi souvent de point d’appui. La séquence précédente (Les Acteurs de bonne foi de Marivaux) a permis de donner quelques notions d’histoire littéraire sur le XVIIIe siècle et d’introduire quelques thèmes récurrents dans les textes des Lumières (notamment l’opposition entre nature et artifice).
  • Les élèves ont lu des romans en lecture cursive, mais aucun travail en classe n’a encore été proposé sur cet objet d’étude.
Séquence V : Le personnage, un exemple ?
Manon Lescaut de l’Abbé Prévost


Objectifs et supports de la séquence :

Objet d'étude : " Le roman et ses personnages : visions de l'homme et du monde "
(objet d’étude secondaire : les Lumières)

Problématiques possibles : une oeuvre à visée morale ? un roman idéaliste ou réaliste ? une oeuvre des Lumières ?
Perspective principale : étude de la construction des personnages dans et par la narration
(grammaire : paroles rapportées ; proposition consécutive ; expression de la subjectivité)


Déroulement des séances:

Séance 1- (1h)

La problématique de l’objet d’étude : premières réflexions.

- Quels romans connaissez-vous / avez-vous étudié en Seconde ? Qu’est-ce que ça vous a apporté ? En quoi peut-on dire qu’ils donnent une vision du monde / de l’homme à partir des personnages ?
→ On cherche à voir, à l’oral, si des idées peuvent émerger pour servir de point d’appui en début de séquence.
- Le cours noté par les élèves consiste principalement en une analyse terminologique (compétence essentielle à acquérir pour la dissertation).
→ Polysémie du mot " héros " ; personnage exemplaire / personnages comme exemples ; héros modèle / modèles de héros.
→ Définition du mot " vision " (à confronter avec " imitation " du monde ou " représentation " du monde : termes déjà bien utilisés pour l’étude du théâtre).
- En fin de séance, on peut demander aux élèves de rédiger des phrases balancées en vue de la dissertation (en utilisant le vocabulaire noté au tableau). Il s’agit d’apprendre à amorcer un raisonnement dialectique à partir d’oppositions lexicales (en constituant des couples d’antonymes).

Séance 2- (1h)

Formulation du projet de lecture

A partir des résumés de l’oeuvre proposés par les élèves [à l’oral] : repérage des deux narrateurs ; repérage de la structure cyclique ; typologie des personnages.

-Première piste de réflexion : comment faire une oeuvre utile, à visée morale, avec, comme héros, un voleur et une prostituée ?

Travail à faire :
A-
Relire l’ " Avis de l’auteur des Mémoires d’un homme de qualités ". - Quelles sont les deux caractéristiques de des Grieux ?
- En quoi le roman peut-il être utile d’après ce texte ?
B- Pensez-vous, comme l’affirme Montesquieu, que " le héros [soit] un fripon et l’héroïne un catin " ? [Préparez des arguments pour instruire le procès des deux personnages

Séance 3 - (2h)

-Correction des questions pour une reformulation du projet de lecture.

-Observation de la structure narrative (document fourni aux élèves)

On cherche à répondre à la question : " En quoi la structure narrative oriente-t-elle la lecture ? "

Lecture analytique n° 1- Première présentation de Manon dans le récit cadre

(p.12, de " J’aurais passé après cette explication... " jusqu’à "... un sentiment de modestie ".)

Le lecteur découvre Manon en même temps que le premier narrateur, Renoncour, qui ne connaît encore rien de Manon, et dont le témoignage peut donc paraître plus objectif que celui de l’amoureux. Le lecteur est associé à Renoncour comme auditeur / lecteur du récit de des Grieux et se trouve, par cet artifice, intégré à la série de personnages immédiatement séduits tout autant par Manon que par les récits de des Grieux et qui vont apporter leur aide (financière) aux héros. Ici, la première apparition de Manon fait l’objet d’une véritable mise en scène. Comme souvent, ce qui fait la complexité et l’intérêt du texte de Prévost, c’est que l’ambiguïté du personnage se niche au coeur de ce qui constitue à première vue une captatio benevolentiae. On réfléchira notamment sur les différents niveaux d’interprétation de la dernière phrase de l’extrait : " L’effort qu’elle faisait pour se cacher était si naturel qu’il paraissait venir d’un sentiment de modestie. " (noter l’utilisation de la consécutive pour formuler les impressions du spectateur / narrateur).

Travail à faire :

A- A l’aide de la fiche sur la structure narrative, repérer et lire dans le roman les trois scènes réconciliation. Laquelle trouvez-vous la plus forte ? Pourquoi ? En quoi ces scènes se répètent-elles ? En quoi y a-t-il une évolution ? Relevez très précisément les attitudes des deux personnages (assis, debout etc.).
B- Proposez un portrait physique de Manon en quatre ou cinq lignes.

 

Séance 4 - (1h)

Exploitation du travail fait à la maison.

1) -Construction littéraire des personnages autour du corps absent de Manon.

→ à partir des portraits de Manon proposés par les élèves (lus en classe). On cherche à répondre à la question : " Pourquoi Manon n’est-elle pas décrite ? " (pistes possibles : rôle de l’imagination du lecteur ; un roman idéaliste ; un personnage idéalisé / sublimé ; des impressions / empreintes laissées par le personnage dessiné en creux, qui font du roman un tombeau). A titre de comparaison, on peut lire, par exemple, la description de Nana dans le roman de Zola.

2) -Lecture transversale : les trois scènes de " réconciliation "

La passion fatale à travers la structure cyclique / des scènes théâtrales / évolution du personnage (déchéance de des Grieux).

→ On montre que la passion est peinte à travers le personnage et que le personnage est construit par la passion.

Travail à faire : Préparation de la lecture analytique n° 2 (première scène de réconciliation)

Séance 5 - (1h)

On cherche à répondre à la question : " En quoi cette scène est-elle une étape essentielle dans la construction littéraire des personnages ? "

Lecture analytique n° 2 : La scène du parloir de Saint-Sulpice

(p. 35-36, de " Il était six heures du soir... " à " ... Ah ! Perfide ! Perfide ! ")

Cette scène de coup de foudre (bien qu’il s’agisse de la deuxième rencontre) marque la naissance du couple romanesque. C’est une expérience indicible (observer comment le narrateur raconte le silence du personnage), suspendue hors des mots et du temps (irruption retardée du discours direct et des larmes). Manon est déjà ambiguë / hypocrite (comme dans le texte de la première lecture analytique), d’où la force de cette passion qui, dès sa naissance, est une fatale déchéance. On peut dégager la parenté du texte romanesque avec la tragédie, notamment par l’importance accordée au langage du corps (dont on ne sait pas toujours s’il relève de la nature ou de l’artifice -hésitation constitutive du roman-).

Travail à faire : lecture d’un G.T. complémentaire, " La rencontre amoureuse : un topos " (Crébillon ; Balzac ; Flaubert). Préparation pour l’oral : comparer ces textes à la scène du parloir

Séance 6- (1h)

Séance destinée à saisir l’atmosphère culturelle du XVIIIe ; prolongement de la réflexion engagée lors de la séance 3 sur le corps des personnages ; lien entre le mouvement libertin et Lumières.

Lecture d’images : corps féminins dans la pnture du XVIIIe (Boucher, Fragonard, à confronter par exemple avec la Nana de Manet –puisqu’un extrait du roman de Zola a été lu en classe). Support : transparents en couleur.

Travail à faire : Fiche sur le mouvement libertin et les Lumières d’après le manuel.

Séance 7- (2h)

Etude d’une scène de délibération

Lecture analytique n° 3 : Hésitations de des Grieux

(p. 56, de " Je m’assis, en rêvant... " à "... j’en eus de meilleures preuves dans la suite ")

On peut repérer le mouvement de balancier (récurrent dans le roman), asymétrique, interrompu brusquement par le discours direct. Il ne s’agit pas d’une pensée dialectique mais d’une déchirure intérieure, peinture d’une passion fatale. Métaphore de cette déchirure morale : l’exil (thème essentiel chez Prévost d’Exiles).

Travail à faire : Rassembler des idées pour répondre à la question : " Quelle peut-être la signification du cadre spatial, dans Manon ? " (recenser les lieux récurrents et les déplacements des personnages ; proposer une typologie).

Séance 8- (1h)

Un roman réaliste ?

Lecture analytique n° 4 : Espoirs de bonheurs

(p. 139, de " En dépit du plus cruel de tous les sorts ..." à "... pour un établissement durable ")

En prolongement du travail fait à la maison : l’espace des amants, l’ " établissement durable ", apparaît comme une utopie (finalement atteint dans la mort et, donc, dans la narration romanesque). L’amour idéal se heurte à la réalité et devient révélateur de la société (ici, l’aristocratie décadente de la fin du XVIIIe). Tout en se situant dans la continuité des romans idéalistes, Manon est déjà, à bien des égards, un roman réaliste, un roman de la désillusion, un roman moderne.

Travail à faire : Rédiger la conclusion de la lecture analytique.

Séance 9- (1h)

La notion de " nature " dans la pensée des Lumières.

Compte-rendu de lecture cursive : Le Supplément au voyage de Bougainville de Diderot, et / ou L’Ingénu de Voltaire.

- On peut notamment se demander en quoi ces lectures éclairent l’extrait étudié lors de la séance précédente. On cherche à répondre à la question : " En quoi le roman de Prévost est-il une oeuvre des Lumières ? ".

- C’est aussi l’occasion de répondre à la question initiale (une oeuvre à visée morale ?) : Manon est un roman amoral (les élèves doivent distinguer soigneusement " regrets " et " remords ", repérer l’ambiguïté des justifications de des Grieux). Eloge bien plus que condamnation de la passion dangereuse : on voit là comment le roman sentimental du XVIIIe annonce le Romantisme.

Travail à la maison : Préparation de la lecture analytique n° 5. Relire en entier le récit de la mort et de l’inhumation de Manon, jusqu’à la fin de la p. 153 (" ...sans perdre le peu de connaissance et de sentiment qui me restait ".)

Séance 10- (2h)

Le roman comme tombeau.

Lecture analytique n° 5 : La mort de Manon

(p. 151-152, de " Nous marchâmes aussi longtemps ..." à " ... ce fatal et déplorable événement ".)

Le moment de la mort est aussi celui de la vérité dévoilée. Manon est enfin sincère. Ce renversement est une sorte de rédemption. C’est l’aboutissement de la construction du personnage romanesque dans le récit rétrospectif. Les gestes du corps hypocrite deviennent preuves et témoignages irréfutables. On peut observer la force pathétique de l’émotion contenue : c’est le dénouement du roman, avec une puissante ellipse (" je la perdis "). Toute la narration est tendue vers ce point indicible.

Conclusion de la séquence.

En quoi ce roman propose-t-il une vision de l’homme et du monde à travers ses personnages ?

Travail en groupe à partir des réflexions engagées lors de cette séquence. Chaque groupe propose un sujet de dissertation sur l’objet d’étude (il s’agit en fait de reprendre et de reformuler la problématique de la séquence).

Exemples : " Les personnages romanesques sont-ils des modèles ? " 
" En quoi le roman peut-il révéler la société à travers ses personnages ? "
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