Site Lettres





Comparer deux textes littéraires:
La cigale et la fourmi de La Fontaine et La Cigale d’Anouilh.

Ce travail portant sur la comparaison de deux fables a été réalisé par Mme JULIEN, professeur certifié de Lettres Modernes au Lycée Vauvenargues d’Aix-en-Provence, pour ses élèves de 1ère ES.

Comparer 2 textes est un exercice qui est au programme des classes de 1° et qui peut être demandé à l’écrit du Baccalauréat. Il est par ailleurs souvent proposé de mettre en relation les textes du corpus ou de confronter deux opinions. La séquence qui suit à pour but de familiariser les élèves d’une classe de 1°ES avec ce type d’exercice. Il s’agit de les aider à trouver les points communs et les différences en fonction de différents critères qui peuvent être reportés sur tous les genres littéraires puis à élaborer un plan synthétique qui dépasse le plan « basique » : points communs,différences. La séquence se déroule sur 4 heures. Il s’agit de comparer 2 fables : La cigale et la fourmi de La Fontaine et La Cigale d’Anouilh.

SEANCE 1 : 2h


Etape 1

Lecture des 2 fables. Il est demandé d’expliciter les morales :

Chez La Fontaine : il faut savoir être prévoyant si l’on veut éviter chagrin et ennui. Cette fable est inspirée d’Esope : " En toute affaire il faut se garder de la négligence si l’on veut éviter le chagrin et le danger ". On demande aux élèves de faire la différence entre ce que l’on entend communément par " morale " (distinction entre le bien et le mal) et cette morale qui est un conseil de bon sens qui préconise une règle de vie. Il leur est demandé ensuite de compléter la fable par 2 vers " à la manière de La Fontaine ".
Voici quelques exemples de production :
"mieux vaut gérer et épargner / qu’être affamé et en danger" ou: "il faut éviter d’être négligent/pour rester indépendant et vivant"

Chez Anouilh le contexte change, il s’agit plutôt d’une satire sociale concernant le monde des artistes : il est naïf de prendre les artistes pour des gens désintéressés.
Ex : Il apprend la musique/Car aujourd’hui les artistes ont du fric "ou /Car il existe plus riche et plus rusé qu’un banquier/De qui croyez-vous que j’ai parlé?/D’un ministre? Mais non, d’un artiste!

Etape II

On peut alors commencer le travail de comparaison: on demande aux élèves de relever les points communs et les différences sous forme d’un tableau. Après leur avoir laissé ¼ d’h. pour relire les fables et noter le plus évident, les remarques sont notées au tableau et complétées au fur et à mesure.


Les points communs
  • les vers 1,2,4 tels quels.Reprise du vers 3 avec inversion : " pourvue "et " dépourvue "
  • reprises syntaxiques " elle alla "v.7
  • même thème : l’art et l’argent avec inversion de la situation de la cigale
  • forme identique : vers irréguliers, alternance de rimes analogues
  • morales implicites
On peut leur faire constater que les principales ressemblances concernent la forme, les procédés d’écriture choisis.


Les différences
  • structure narrative : Pour La Fontaine. la progression est simple : situation initiale, 1 élément perturbateur, 1 péripétie, situation finale. Pour Anouilh la progression est plus complexe : situation initiale similaire mais inversée, même élément perturbateur, 1° péripétie proche de La Fontaine " elle alla " mais la suite met en évidence un jeu d’inversions et de rebondissements : inversion des rapports de domination attendus avec la réponse de la cigale, rebondissement avec la recommandation de prêter aux pauvres. Coup de théâtre avec la dernière remarque de la cigale. Enfin les 2 situations finales sont en écho (danse et musique), mais inversées puisque c’est le renard qui s’incline. Faire remarquer que les 2 schémas montrent une même progression linéaire qui converge vers le dénouement mais A. joue sur les effets de surprise, les décalages.

  • le choix des animaux : 2 insectes chez La Fontaine qui a un souci de vraisemblance. Décalage chez Anouilh : aucun rapport entre les 2, un des codes de la fable telle que la conçoit La Fontaine n’est pas respecté. Allusion à un 3°pers. Le serpent

  • Modernisation : la cigale chante dans les casinos, elle va voir un banquier et non " sa voisine "
  • Le registre : pathétique chez La Fontaine : la cigale est condamnée à une mort certaine. Satirique chez Anouilh, voire cynique.

On amène les élèves à constater que les principales différences portent sur le choix des animaux, leur caractère et sur la morale.

Travail maison : élaboration d’un plan en 3 parties pour mettre en évidence les ressemblances et les différences. Il est recommandé de ne pas se contenter du plan basique  (I : les ressemblances. II : les différences), mais de trouver 3 éléments de comparaison en fonction du tableau élaboré. Déjà apparaissent 2 points de comparaison : les choix d’écriture et les portraits

 

SEANCE II

Premier quart d’heure : élaboration du plan à partir du travail des élèves. Le commentaire s’organisera autour de 3 parties :

  1. L’art du récit dans les 2 fables
  2. L’art du portrait
  3. La morale
I - L'art du récit chez les deux fabulistes

1. 2 récits rythmés et plaisants :

  • rythme vif : choix de vers courts et impairs chez La Fontaine. Nombreux enjambements et rejets qui donnent un rythme souple, naturel. Différence de vers chez Anouilh avec rejets et enjambements.
  • Alternance récit/discours : le narrateur s’efface derrière ses personnages et donne plus de poids à leurs paroles et à la morale. Procédé pour animer le récit

2. Présence du fabuliste :

Les 2 se manifestent : V.16 chez La Fontaine qui émet un jugement, les parenthèses. Chez Anouilh qui commente malicieusement . Le procédé est fréquent dans ce genre, le fabuliste se manifeste tout en se mettant à distance et oblige son lecteur à faire de même pur susciter la réflexion.

On peut faire constater que Anouilh reprend certains choix d’écriture de La F.

3. La progression des fables :

Le travail effectué dans la séance 1 permet de mettre en évidence le jeu d’A. sur les inversions, décalages, coups de théâtre. Son but est de surprendre, amuser le lecteur. Les élèves peuvent reconnaître un pastiche, respectueux et facétieux

 

II - L'art du portrait

1. Le choix d’animaux différents

  1. La Fontaine garde le souci de la vraisemblance, de l’équilibre, du respect de la nature.
  2. Anouilh, lui, pousse jusqu’au bout le merveilleux de la fable. Rappel de l’étymologie : fabula : invention, récit à base d’imagination. Donc pourquoi pas une cigale drapée dans une cape de renard qui domine un renard ?

Rappeler l’image du renard dans les fables et les fabliaux, cf. aussi le Roman de Renart. NB : La Fontaine aussi joue à modifier les types qu’il reprend dans la tradition. Le renard rusé et beau parleur qui se moque du corbeau peut également devenir la victime de la cigogne.

Quant au serpent il représente dans l’imagination populaire, la duplicité, le mal. On retrouve quelques serpents chez La Fontaine. Soit l’image est conforme à la tradition : le serpent qui cherche à mordre le villageois qui lui a sauvé la vie. Mais c’est aussi la couleuvre innocente, victime de l’ingratitude et de la méchanceté de l’homme. Anouilh reprend ici le cliché : serpent = perfidie, duplicité, danger

On fait donc constater qu’Anouilh respecte les codes de la fable en poussant simplement l’invraisemblance jusqu’au bout.

2. 2 héroïnes diamétralement opposées

C’est bien sûr dans l’humanisation des animaux qu’Anouilh va faire preuve de fantaisie. Il va totalement inverser les caractères, trompant malicieusement les attentes de son lecteur.

Dès le début on va constater la pauvreté de l’une et la richesse de l’autre. On peut ensuite faire noter les oppositions dans 2 colonnes :

- La cigale de La Fontaine :

  • Insouciante
  • Totalement démunie : insistance du narrateur ( 3 notations : v.4 et 5, 6,10)
  • Honnête : elle multiplie les preuves de sa bonne foi : v. 12,13,14
  • Modeste dans sa demande : v.10 et humble dans ses propos v.9
  • Sans défense : elle ne réplique pas et se laisse condamner à une mort certaine

- La cigale d’Anouilh:

  • Très riche : v.4,5,6,7 
  • Malhonnête : faire commenter l’expression  " en avoir à gauche " Se dessine le portrait d’une chanteuse de cabaret avec sa cape de vison et son fard qui semble peu recommandable.
  • Cupide : faire relever le lexique de l’argent dans son discours : noter la place à la rime
  • Autoritaire : verbes de volonté, emploi du futur à valeur d’impératif
  • Menaçante : allusion au serpent comme avocat qui fait penser aux avocats véreux. Remarque du narrateur : la cape de renard : c’est une menace de mort !
  • Manipulatrice : il est bon de faire noter la triple image du regard que nous donne le fabuliste : au début (v 11,12)  " tout enfantine et minaudière /l’œil noyé sous le fard "au milieu ( v 33,35)  " l’œil froid/ un regard d’acier briller sous le rimmel "à la fin ( v 45 ) l’œil perdu, ayant vérifié son fard "Ainsi l’image de l’artiste rêveuse, naïve et fragile se transforme en celle d’une femme d’affaire froide et impitoyable. Sa supériorité affirmée, elle retourne à l’image conforme de l’artiste qu’elle veut donner. C’est donc une comédienne accomplie, capable d’une extrême duplicité que le lecteur est habitué à rencontrer chez le renard des fables.
  • Impitoyable et cynique : cf sa dernière remarque.

Ainsi Anouilh ne cesse de jouer avec son lecteur, multipliant les écarts entre ce qu’il attend et ce qui lui est raconté.

3. Les 2 "prêteurs" :

  • La Fontaine, comme nous l’avons vu, respecte la nature : la fourmi est travailleuse et entasse la nourriture. Aussi son discours est-il bref, mordant et même cinglant par son insensibilité. Le dernier vers est un ordre sans concession. La remarque du fabuliste la rend encore plus antipathique.

  • Le renard d’Anouilh. est conforme aux attentes du lecteur. Son discours est celui d’un beau parleur, manipulateur, sûr de lui. Faire relever les 2 champs lexicaux qui s’opposent : celui de l’argent qui est vil, grossier, trivial et celui de l’art, noble, supérieur. A la fin, il se place même en victime, pauvre laborieux destiné aux basses besognes, envieux de la condition de l’artiste. Sa ruse et sa malhonnêteté s’affirment avec le blanc-seing qu’il veut faire signer. Remarquer les termes à la rimes, les effets de rythme : rejets et enjambements : amplitude des v.14,15 :emphase respectueuse, vers courts pour parler d’argent (16 à 20), alexandrins pour flatter (22 ,23,31) .

Le fabuliste complète le portrait par quelques notations qui nous le montrent patelin, obséquieux (v.19, 34). Le renard est un usurier peu scrupuleux (v.10, 37) qui croit tromper et exploiter son client.

Ce comportement est digne d’une fable de la Fontaine. C’est la réponse de la cigale qui inverse les rapports dominant/dominé. A. bouscule les clichés, inverse les rapports, transgresse les codes et affirme son originalité et sa souveraineté en tant que créateur.

 

III La morale

1 : le choix de l’implicite :

Les 2 fabulistes laissent le lecteur trouver la leçon

  • La Fontaine : bon sens, sagesse. Est-il lui-même la cigale ? L’image de l’artiste insouciant et pauvre est aussi un lieu commun. Dénonce-t-il l’égoïsme et l’avarice des riches ? Sans doute.
  • Anouilh : modernise la fable, adapte la morale à la situation des artistes au 20°s. Il détruit l’image de l’artiste démuni, désintéressé qui se laisse exploiter pour en faire une redoutable femme d’affaire qui à son tour devient un exploiteur. Fait-il allusion à certains artistes qui se sont laissé aller parfois au mercantilisme ?(Picasso, Dali, stars du cinéma et de la chanson ?)

2 : Des registres différents :

  • Pathétique chez la Fontaine
  • Cynique, satirique chez Anouilh. La morale se clôt sur un jeu de mot ironique : " il apprend la musique " à rapprocher de " connaître la musique " Remarque : le clin d’œil à la Fontine avec l’expression " Maître Renard " tout droit sortie du Corbeau et du Renard.
Conclusion

Anouilh joue avec les clichés et les codes d’écriture. Il inverse et bouscule les idées reçues pour surprendre et amuser. On peut rappeler sa reprise des mythes, en particulier Antigone, que les élèves connaissent.

On peut aussi terminer en posant la question : de l’utilité du pastiche ?

  • renouveler le plaisir ?
  • actualiser un thème, un genre ?
  • hommage à un auteur admiré ?
  • montrer la pérennité d’un genre, d’une écriture ?
A noter

On peut faire rédiger une courte fiche aux élèves pour qu’ils mémorisent les différents points sur lesquels peut se conduire une comparaison :

  • objet d’étude
  • thème, thèse, morale, enseignement
  • type de textes
  • genre
  • mouvement littéraire, époque
  • registre
  • procédés d’écriture, progression
  • enjeux
  • registre
Textes étudiés