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Recherche action sur le lexique: bilan de l’expérience menée au collège André Malraux à Marseille

Ces propositions, qui sont conçues en lien étroit avec l’étude de la langue, et dans le cadre des nouveaux programmes de Français pour la classe de 5ème, ont été élaborées par Marie-Thérèse Rostan-Gleizes, professeur au Collège collège André Malraux de Marseille





La classe de cinquième avec laquelle j’ai continué l’action innovante engagée en sixième a bénéficié de cinq heures de français par semaine. Malgré ces cinq heures, comme l’année précédente, il a été difficile d’enseigner autant qu’il l’aurait fallu la grammaire et l’orthographe. Le titre du manuel mis à disposition de mes élèves est : A mots ouverts Français 5ème Edition Nathan. Je vais présenter trois séquences : les textes étudiés séquence I et séquence V sont tous dans ce manuel ; j’ai dû photocopier les fabliaux de la séquence V dont je donnerai pour chacun les références des traducteurs. Le dictionnaire utilisé par les élèves est « Le Robert Collège », 30 exemplaires étant rangés dans l’armoire de la classe et donc disponibles à tout moment.

Résumé du travail réalisé au cours de cette année de cinquième concernant l’enseignement du lexique

Lecture d’articles de dictionnaire

* Ils ont pratiqué très régulièrement la lecture d’articles de dictionnaire de façon à ce que petit à petit tout ait du sens
(les multiples abréviations, les différents caractères d’imprimerie, les différentes numérotations -chiffres romains, chiffres arabes- etc…), l’autre objectif principal étant d’identifier la définition d’un mot en contexte ce qui, je l’ai régulièrement constaté, est difficile, même pour de bons élèves, et donc doit être répété avec une grande régularité.
* Ils ont commencé à observer comment on passe d’un sens à un autre dans un article : ce fut particulièrement intéressant avec le mot « vilain » lors de la séquence « Au temps des chevaliers ». Le sens étymologique a permis de facilement comprendre celui de ce mot au Moyen Age (« un paysan ») ; puis un passage d’Yvain, le Chevalier au lion (« Il vint dans la clairière le lendemain et vit les taureaux et le paysan qui lui enseigna son chemin ; mais plus de cent fois il se signa à cause du prodige que représentait la façon dont Nature avait su faire une œuvre aussi laide et aussi hideuse. ») et une information sur la valorisation du teint clair, le « bronzage » étant réservé à ceux qui effectuent les travaux des champs, ont éclairé le deuxième sens (= « désagréable à voir » ): De la laideur physique on glisse ensuite vers la laideur morale et pour finir vient le sens figuré, peu éloigné des deux sens précédents.
* Ils ont appris qu’on ne lit pas l’article d’un verbe comme l’article d’un mot d’un autre classe grammaticale. En sixième ils avaient vu que deux verbes synonymes peuvent avoir des constructions différentes, cette année je leur ai montré qu’un même verbe peut se construire de différentes manières ce qui en modifie plus ou moins légèrement le sens et justifie les différentes rubriques de l’article.

Synonymes, antonymes, mots de la même famille:

* Nous avons régulièrement rappelé ce qui différencie deux mots synonymes (différence d’intensité, de registre de langue, de construction, d’intention) et ajouté la notion de modernité : entre deux mots synonymes, la différence peut-être une différence de modernité.
* Ils ont beaucoup travaillé sur les antonymes, toujours en lien avec la polysémie : quand un mot a plusieurs sens, il a forcément plusieurs antonymes. Ils ont appris que pour obtenir l’antonyme d’un mot, on fait appel soit à un mot appartenant à une autre famille lexicale, soit à un dérivé comportant un préfixe antonymique.
* En toute occasion la famille d’un mot était recherchée, renforçant la notion de classe grammaticale et l’orthographe lexicale.

Formation des mots

* Ils ont revu la formation des mots par dérivation et régulièrement prouvé que les préfixes étudiés en 6ème (in-, re-, dé-) les aidait à comprendre le sens de certains mots ; ils ont appris deux nouveaux préfixes (é-/ ad-, ac-, ap-…) et quelques nouveaux suffixes (-erie à la fin d’un nom / les différents suffixes diminutifs –et,-ette ; -ot, ote ; -on ; -eau / suffixe –ment servant à former des noms, les élèves ayant retenu que ce suffixe peut former un adverbe).
* Ils ont découvert la formation des mots par composition (composition populaire et surtout composition savante) ; au cours d’un activité d’IDD en partenariat avec le professeur de mathématiques, les élèves ont constitué un lexique de mots de composition savante : pour chaque mot, ils devaient donner sa nature, rédiger une définition (sans l’aide du dictionnaire, en s’appuyant sur le sens étymologique de chacun des deux mots savants) et un exemple illustrant cette définition. Ils ont donc, à cette occasion, pratiqué l’ activité définitionnelle qui a permis de mettre en place des notions de langue et de vocabulaire : un nom se définit par un nom générique suivi de ce qui le précise, un verbe par un verbe ou une locution verbale et un adjectif, le plus souvent, par une proposition subordonnée relative. La rédaction d’un exemple éclairant le sens du mot expliqué les a obligé à être cohérent avec la définition donnée et leur a rappelé le rôle de l’exemple. Tout cela a évidemment amélioré leurs compétences en lecture d’ articles de dictionnaire

Lecture et vocabulaire

* Il s’agissait cette année d’expliquer les textes lus en partant du lexique. Différentes entrées lexicales ont été imaginées pour amener les élèves à lire plus finement et plus justement : j’ai essayé de sélectionner dans chaque texte abordé des mots ou expressions tirées des textes ou hors texte qui permettaient d’accéder plus profondément au sens et à l’implicite du passage lu. * Ils ont acquis quantité de mots nouveaux, issus des textes lus ou de leur propre recherche ; ces mots ou expressions étaient, à la fin de chaque séquence, sur une fiche récapitulative, présentés en réseaux, un peu à la manière de J. Picoche, ce qui permettait de ne pas en perdre le sens, les semaines passant.

Ecriture et vocabulaire

* La consigne était d’utiliser le plus possible de mots du vocabulaire vu au cours de chaque séquence pour inventer des phrases, ou un paragraphe, ou une histoire complète répondant à un sujet donné. Je m’étais aperçue en sixième que les mots nouveaux sont vraiment déclencheurs d’ idées pour ceux qui en manquent, améliorent la qualité des idées de ceux qui ont tendance à raconter des banalités et enrichissent aussi les textes des bons élèves qui acceptent de jouer le jeu ; quelques-uns ( très peu nombreux) ont résisté, refusant de partir du vocabulaire nouvellement acquis pour inventer, visiblement vexés qu’on puisse douter de leur imagination : leurs devoirs étaient plutôt réussis, ce qui est normal pour de bons élèves, mais n’avait pas cette qualité apportée par l’utilisation de mots plus recherchés et plus variés qui engendrent des idées tellement plus originales ! Ces « résistants » m’ont permis de vérifier que les réseaux de mots nouveaux sont une véritable mine pour tous, tant au niveau de l’expression que des idées.
* Ils ont très souvent travaillé la description car il est vrai qu’ils n’ont pas spontanément l’idée de décrire et qu’il faut les y pousser : ils ont réfléchi à que décrire, comment décrire et à quel moment du texte le faire.
* Nous avions abordé les substituts ( lexicaux et pronominaux) en sixième et avons en cinquième accentué le travail sur les périphrases (en rappelant les synonymes et les hyperonymes en toute occasion).. Nous les avons relevées en lecture et je souhaitais en trouver dans leur devoirs : nous avons pris le temps d’expliciter le procédé de fabrication de ces substituts ( Quelles sont les caractéristiques du personnage ? Quelle est sa caractéristique à cet endroit-là du texte ? Qu’est ce que je veux faire comprendre au lecteur en le nommant de cette façon-là et à cet endroit-là ? Pourquoi n’est-il pas nécessaire d’utiliser une périphrase à tout bout de champ ?) ; ce travail a obligé les élèves à chercher et à puiser dans leurs propres réserves de vocabulaire des mots inemployés quoique présents et leur a montré qu’ils écrivent souvent en s’économisant.

Choix de séquences

Chacune des trois séquences présentées propose des entrées lexicales différentes pour construire le sens d’un texte en lui-même et en relation avec les autres textes de la séquence.
  1. Séquence I : "Livres et Lecteurs" - Entrer dans la compréhension d’un texte par des figures de style:

    J’ai choisi de lire, dans le cadre de la séquence intitulée « Livres et lecteurs » , trois textes qui ne peuvent être compris par les élèves qu’à condition de maîtriser la métaphore directe et la personnification. Les deux premiers, de Gudule et de Sartre, présentés l’un au dessus de l’autre sur la même page de leur manuel, parlent de lieux remplis de livres (une bibliothèque de ville et le bureau du grand père de Sartre) et utilisent le même comparant « sanctuaire » pour désigner ces lieux. Le troisième texte, de C. Roy, oppose les librairies aux bibliothèques et utilise le comparant « Bastilles » pour désigner ces dernière « Bastilles » pour désigner ces dernières.

    Les élèves, qui au départ ne comprenaient pas la présence du mot « sanctuaire » (dont ils connaissaient le sens, j’ai simplement dû réactiver leurs souvenirs d’histoire de sixième) dans des textes parlant de bibliothèques, ont rapidement été éclairés quand je leur ai appris ce qu’est une métaphore en m’appuyant sur leur connaissance de la comparaison ; et lorsque J.P.Sartre file la métaphore en employant les mots « pierres levées » et « menhirs » à la place de « livres » et le verbe « révérer » pour indiquer son attitude vis à vis d’eux, tout est alors devenu compréhensible : on est dans le domaine religieux, le domaine du sacré. Ils en ont déduit, à juste titre, que ces deux auteurs apprécient énormément les bibliothèques et les livres.

    Quand le troisième texte qui oppose les librairies aux bibliothèques utilise le comparant « Bastilles » pour désigner ces dernières, tout est à nouveau clair pour les élèves ( le mot « Bastille » est expliqué en note à côté du texte ) : « Ah ! Pour lui, une bibliothèque n’est pas un lieu sacré, mais c’est comme une prison ! ». Et quand C. Roy file à son tour la métaphore et parle de « cellules » dans lesquelles on « cloître » les livres, c’est encore une fois clair. Ils en ont déduit qu’il n’apprécie pas les bibliothèques . On en cherche alors la raison, et c’est l’occasion de mettre en place la personnification pour donner sens à des mots dont la présence dans ce texte peut paraître étrange: l’auteur considère les livres comme des « amis » avec lesquels il aime « flâner, dormir, avoir des rendez-vous, paresser dans un hamac, sortir… ». On explique l’expression « avoir une mine de papier mâché » et les élèves finissent par sourire quand nous apprenons que les livres, lorsqu’ils sont enfermés dans des bibliothèques, « ont vite une mine de papier mâché…» selon Claude Roy.


  2. Séquence IV : Les Fabliaux - Entrer dans la compréhension d’un texte par la maîtrise du sens figuré et le mise en relation de quelques mots repères: .

    Quand on lit les fabliaux, on n’échappe pas à l’étude du vocabulaire de la richesse et de la pauvreté, de la sottise, de la cupidité et de la fourberie. On n’échappe pas non plus au travail sur sens propre et sens figuré puisque le plus souvent le comique du fabliau repose sur la méconnaissance de ces deux notions par l’un des personnages. J’ai collecté et rassemblé 22 expressions qui ne s’entendent qu’au sens figuré, susceptibles d’être utilisées dans le fabliau de leur invention que j’allais leur demander d’écrire en fin de séquence. Ces expressions font partie de notre culture et mettent les enfants dans la situation du sot d’un fabliau s’ils ne les comprennent pas comme il faut.

    D’autre part, j’ai choisi d’expliquer chacun des deux derniers fabliaux en partant de deux ou trois mots nouveaux très éclairants : l’éclairage de ces mots mis en relation avec le reste du texte permet de rapidement donner sens à l’ensemble qui, au départ, était confus ou superficiellement compris par la plupart des élèves. Ces mots leur ont fourni de vrais repères lorsque je leur ai demandé de résumer ces fabliaux : l’exercice de résumé avec la contrainte d’utiliser deux ou trois mots éclairants m’a permis de vérifier la qualité de la compréhension de ces textes et donc l’efficacité du procédé.


  3. Séquence V : Le mythe de Robinson - Le lexique pour combattre les représentations, sources d’erreurs de compréhension:

    A partir de la définition du nom « un sauvage » et du relevé de toutes les caractéristiques du sauvage présenté dans le texte de Jules Verne, les élèves ont fait, avec l’aide du dictionnaire et en s’appuyant sur leur propre culture, une recherche personnelle de mots ou expressions caractérisant « un être civilisé ». Tout ce vocabulaire, mis en commun, a été réinvesti et à nouveau enrichi par chacun dans un exercice d’écriture d’un portrait.

    Dans le texte de D. Defoe et de Tournier, nous avons recherché les mots appartenant au vocabulaire des sentiments (toujours trop réduit chez la plupart des élèves), très abondants dans cet extrait qui présente un être civilisé qui vient de faire naufrage. Les sentiments sont donc signe de civilisation. Après les avoir repérés et relevés, nous avons cherché leur famille. Ainsi, les élèves ont vu qu’un sentiment peut être exprimé avec des mots de différentes natures. Nous avons travaillé sur les couples synonymes (tristesse/affliction ; joie/ allégresse ; colère/ fureur…) montrant que la différence est, dans ce domaine, une différence d’intensité. Nous avons aussi déterminé lesquels étaient antonymiques. Puis je leur ai demandé de classer ces différents sentiments de façon à leur faire prendre conscience que certains sont positifs et d’autres négatifs.

    Le travail de vocabulaire sur les caractéristiques du sauvage et de l’être civilisé et celui sur les sentiments ont préparé la compréhension du texte de Tournier « La querelle de deux hommes égaux » : en effet, je savais que nombreux étaient les élèves qui, après la lecture intégrale du roman Vendredi ou la vie sauvage, considéraient Vendredi comme un sauvage car c’est un homme de couleur, vivant nu une « vie sauvage », ne parlant pas l’anglais, appartenant à une tribu qui pratique les sacrifices humains etc…Quand nous en arrivons à affirmer que c’est Robinson qui se comporte dans le texte de Tournier comme un sauvage et Vendredi comme un homme civilisé, ce n’est pas mon opinion que je transmets, mais la conclusion logique des travaux lexicaux précédents.

    La lecture de l’extrait de l’article de J. Picoche sur le mot « civilisation » a permis de rassembler, confirmer et enrichir encore les connaissances et le vocabulaire acquis autour de cette notion, de faire clairement comprendre aux élèves qu’il a existé, existe et existera des civilisations différentes, certaines se considérant, à tort ou à raison, supérieures aux autres et de s’apercevoir qu’un homme appartenant à une civilisation différente ne peut en aucun cas être qualifié de « sauvage ».
    Dans cette dernière séquence, je crois pouvoir dire que le travail lexical a véritablement humanisé les enfants
    • - en leur faisant précisément comprendre ce qu’est la sauvagerie et son contraire la civilisation.
    • - en leur apprenant à se méfier de leurs représentations.
    • - en les préparant à accepter la différence