4. Individualisation de l’enseignement de l’orthographe :

Dans tous les établissements, du temps a été consacré à une aide individualisée, même si la mise en place et le fonctionnement de ces groupes ont pu être très variables d’un établissement à l’autre.(cf. p.15)

Le travail en effectif réduit a permis d’effectuer un travail plus individualisé. A partir de la grille d’évaluation de début d’année, l’enseignant a pu différencier sa pédagogie en entraînant l’élève sur ses propres difficultés, sur les points orthographiques qui étaient déficients.

Les enseignants ont pu aussi mettre à profit ces moments pour revenir sur des points vus en cours mais posant encore des problèmes. L’élève en difficulté, ne se sentant pas jugé par le groupe classe, pouvait plus facilement poser des questions sur les points difficiles pour lui. Pour beaucoup existe une vraie souffrance : ils sont conscients malgré leur jeune âge du rôle social de l’écrit et de l’aspect discriminant d’une orthographe fautive. Mais malgré leur désir de progresser, peu sont convaincus de pouvoir le faire et ce temps d’aide individualisé permettait aussi de les encourager et de les motiver.

Ce soutien a pu servir aussi à un travail de reprise des copies, des brouillons. Ainsi, au collège d’Oraison, les élèves ont travaillé en binôme, les bons élèves ayant souhaité ne pas être écartés du dispositif d’aide : une heure par semaine, les élèves travaillaient en binôme (un élève « fort » / un élève « faible » en orthographe) :

" Ce sont les élèves « forts » qui ont suggéré cette « pédagogie » car ils ne souhaitaient pas être écartés du « soutien » ; aussi travaillaient-ils un peu moins que les autres (ils n’écrivaient presque pas) mais leur aide s’est avérée très efficace : parce que le « fort » lisait ce qu’écrivait le « faible », ce dernier faisait plus d’efforts !

Lorsqu’une dictée faite « en binôme » a été proposée quelques jours plus tard pour tous les élèves, les résultats ont été très encourageants : tous les « forts » ont obtenu un 20/20, les autres ont eu des notes très convenables (entre 14 et 20), seuls deux élèves ont eu une note inférieure à 10.

Au collège Plan-de-Cuques, l’heure en demi groupe a pu être utilisée pour expliquer et expérimenter le fonctionnement de la fiche de relecture de la dictée et de la rédaction, afin de parvenir à une relecture efficace (de leurs copies ou d’exercices de cacographie).

Des activités plus ludiques ont pu être mises en place pour motiver ces élèves en difficulté : des compétitions de conjugaisons par équipes, des « jeux » comme « la copie aux 4 coins de la classe » (cf. p. « Les activités qui ont fonctionné »)…

Tenter de cerner l’origine des erreurs ….

Durant ces heures d’aide individualisée, des dialogues ont également pu être conduits : les enseignants ont souvent sollicité les élèves pour tenter de découvrir l’origine des erreurs qu’ils commettaient. La source de l’erreur n’était pas forcément celle que l’on attendait. Taxer un élève d’étourderie ou de méconnaissance de certaines règles est souvent non pertinent, car son erreur est le fruit d’un raisonnement, partiel, bizarre, erroné, mais réel : une mauvaise orthographe n’est pas imputable au hasard. Les élèves commettent parfois des erreurs non pas parce qu’ils ne réfléchissent pas ou parce qu’ils n’ont pas de connaissance, mais apparemment parce qu’une partie de ces connaissances est erronée ou parce qu’ils substituent au raisonnement canonique une logique interne et souvent complexe qu’ils ont eux-mêmes créée. Ils semblent vouloir appliquer du sens là où il n’y en a pas forcément.

Une grande part de motivation et d’affectivité semblent également présentes, sans que nous ayons prise sur elles.

Situation 1 (collège de Pertuis)

Dans le cadre d’un travail sur les familles de mots et de l’observation de l’orthographe du radical, un élève, de niveau correct, lève le doigt :

« - Madame, je ne peux pas vérifier certains mots.

- Pourquoi ?

- Parce que ce sont des verbes.

- Ce n’est pas un problème.

- Si, les verbes ne sont pas dans le dico, je le sais, c’est mon instit qui me l’a dit. »

Il a fallu lui prouver que les verbes étaient présents car il doutait de la parole de l’enseignante tant sa conviction était forte. Certaines habitudes s’expliquent ainsi par la croyance très forte à un message ou à un enseignement dont on n’a retenu qu’une partie, l’instituteur en question ayant dû dire que les formes conjuguées des verbes ne figuraient pas dans le dictionnaire mais seulement les infinitifs.

A Oraison

J’ai écrit « momment » avec deux « m » car on m’a appris que devant « m, b, p » on devait mettre un « m »…

Au collège de Plan de Cuques

« Le secret me fut révéler » : j'ai mis –er car il y avait un autre verbe devant.

L’extension et/ou la pertinence de certaines règles effectivement apprises par le passé demandent à être vérifiées !

La méconnaissance de mots fréquemment utilisés pénalise également de nombreux élèves, et là encore la « réflexion » mène à des erreurs…

« il ne leurs offrait » : j’ai mis un « s » car ils sont deux…

Méconnaissance des règles qui permettent de distinguer les homonymes grammaticaux (le pronom « leur » et les déterminants « leur / leurs ») ; présence d’un raisonnement dont la logique est sans pertinence dans ce contexte.

De la même façon, l’élève peut avoir intégré la formation des mots : il a compris que parfois, connaître des mots de la même famille peut l’aider, mais il fait de mauvais rapprochements.

Paroles entendues au collège d’Oraison : J’ai écrit « rammener » avec deux « m » car j’ai pensé à « rappeler » avec deux « p »…

J’ai écrit « rammener » avec deux « m » parce que j’ai doublé la consonne « m » comme pour le « p » dans « rapporter »…

Les élèves procèdent souvent par comparaison pour tenter de résoudre leurs difficultés, à tort ou à raison…

L’élève se trompe fréquemment parce qu’il confond la nature des mots, ce qui fausse son raisonnement.

Exemple au collège Belle de Mai :

Une élève, devant accorder l’adjectif « élégant » : Madame, quand c’est "ant", c’est pluriel ? 

- pour le pluriel, il faut mettre un "s " non ?

- Mais pourtant des fois, on met" ent " au pluriel !

Collège de Pertuis :

Après des révisions, en classe entière, de la conjugaison du présent de l’indicatif et un cours de soutien sur les différences entre les groupes, un élève continue à commettre des erreurs, telles que : il coure. Pourtant, il récite les terminaisons des trois groupes sans se tromper et semble capable de déterminer à quels groupes appartiennent les verbes proposés. Alors que l’enseignante le questionnait pour chercher à comprendre ce qui « bloquait », il finit par dire qu’il conjugue courir ainsi « parce que courir, c’est facile ». L’enseignante le pousse à expliquer ce qu’il veut dire par là. Il déclare alors : « Quand c’est facile à faire, je conjugue comme les verbes du premier groupe car ils sont faciles et que c’est ceux qu’on prend tout le temps. » Il conjugue donc des verbes du 2ème ou du 3ème groupe avec des terminaisons du 1er si les actions qu’ils signifient sont faciles à réaliser pour lui ou fréquentes dans son quotidien. Ce processus n’est peut-être pas systématique mais possède sa propre logique et semble expliquer des fautes persistantes alors que l’élève possède des connaissances suffisantes pour ne plus les commettre.

Collège de Pertuis :

Un élève continue à écrire il a manger alors que l’enseignante est en train de reprendre le travail sur é/er. A chaque passé composé proposé dans l’exercice, il écrit ainsi toujours le participe avec « er ». Quand on le lui fait remarquer, il dit :

« - Ce n’est pas logique d’écrire  « é », car le passé composé, il sert bien à une action qui est finie ?

- Oui, et alors ?

- Eh bien, on devrait mettre alors l’infinitif car l’infinitif c’est la forme du verbe qui ne bouge pas. »

Autres paroles entendues au collège d’Oraison :

« le chat m’a griffés » car il y a toujours plusieurs griffes sur les pattes d’un chat…

Les élèves semblent spontanément privilégier le sens (leur sens !) sur l’application des règles que nous leur enseignons.

J’ai écrit « moin » car pour moi cela veut dire « en moins » donc on enlève, on ne rajoute pas !

La logique des élèves n’est pas toujours la nôtre !

Au collège de Plan de Cuques

«  ils retrouvaient sur les pistes l'encombrements  » : parce qu'il y a plusieurs pistes.

« un mouton mange tous ce qu'il rencontre » : je croyais que le mouton mangeait plusieurs choses.

 

Collège de Pertuis :

Un élève a une attitude assez négative en soutien et rechigne à corriger des erreurs. Alors que je l’interpelle sur son manque d’énergie, il dit :

« - Madame, j’arrive pas à corriger les fautes entourées.

-As-tu essayé de t’aider de ta fiche de relecture ?

- C’est pas possible.

-Pourquoi ?

- Parce que je suis nul en orthographe.

- Tu n’es pas nul.

- Si, et d’ailleurs c’est de famille.

- C’est à dire ?

- Ma mère est nulle aussi.

- Et alors ? Même si c’est vrai, ça ne t’empêche pas de faire des efforts et d’essayer de progresser. Je suis là pour t’aider.

- Ben non, ma mère, c’est une femme bien. »

Déconcertée par sa réponse, je lui propose quelques instants plus tard de laisser de côté la correction puisque c’est difficile et de s’entraîner plutôt à m’écrire un paragraphe qui pourrait porter sur sa mère et m’expliquer pourquoi il l’admire. La séance d’après, nous le lisons ensemble et je lui demande si sa mère est une femme bien parce qu’elle est nulle en orthographe ou pour toutes les raisons énumérées dans son texte. Pas de réponse. Toujours est-il que quelques temps plus tard, il ne refuse plus de jouer le jeu et cherche à corriger ses fautes. Tout se passe comme s’il s’était autorisé à travailler ce domaine.